Jiro rêvait de voler. Il crée des bombardiers. Pour ses adieux, le maître japonais nous jette dans le feu du réel. Et l'adoucit avec le souffle frais d'une romance.
- r
- Très Bien

Studio Ghibli/Walt Disney
Publié le 25 janvier 2014 à 00h00
Mis à jour le 20 octobre 2023 à 11h43
Hayao Miyazaki, dernière. Le cinéaste japonais, 72 ans, l'a dit et répété. Après ce film, il range définitivement les pinceaux. Des adieux, en somme, auxquels les inconditionnels se précipiteront, déjà endeuillés, prêts à recevoir le testament du Maître. En un sens, c'est bien le cas : Hayao Miyazaki « monte au ciel » sous nos yeux, littéralement. Son ultime dessin animé concentre tous ses fantasmes d'apesanteur, ceux qui ont « envoyé en l'air » tant de ses oeuvres, de Porco Rosso, au Château dans le ciel ou Kiki la petite sorcière.
Des années 1920 à la Seconde Guerre mondiale, Jiro, le jeune héros de ce grand tableau soigneusement peint à la main, ne pense qu'à ça. Voler, voler et encore voler. Comme il a la vue basse, le métier de pilote lui est interdit. Il sera ingénieur aéronautique, inventeur des redoutables avions Zéro. Des idéaux d'un garçonnet à la construction d'une célèbre machine de mort — le chasseur-bombardier des kamikazes et de Pearl Harbor —, le réalisateur fouille, encore et toujours, une autre des ses fameuses obsessions : la guerre, qui transforme et pervertit les rêves.
Pour sa grande sortie, Hayao Miyazaki prend des risques. Il s'aventure hors du conte, son territoire de prédilection, et loin de son bestiaire favori, créatures merveilleuses et autres demi-dieux fantasques. La seule « apparition », ici, est celle du concepteur d'avion Gianni Caproni, géant à moustaches qui hante l'imagination de Jiro. Scènes oniriques en plein ciel, d'une gaieté gamine, éclatante, qui contrastent avec le réalisme inédit d'un récit très adulte. Sous toutes les belles couleurs, le bleu limpide des nues, le vert frémissant des arbres, se cache une sous-couche mélancolique qui hante aussi bien la grande histoire que la petite — heurs et malheurs du héros.
Le vent se lève. Ce titre, emprunté au poème Le Cimetière marin, de Paul Valéry, contient toute l'ambivalence du film, une menace et un élan. Fabriqué à partir de deux personnages réels, l'ingénieur Jiro Horikoshi et le romancier Tatsui Hori, le héros est une hybridation poétique et ambiguë. Le cinéaste en fait le fil rouge d'une réflexion sur le passé de son pays, sur les souffrances, les épreuves et les compromissions de tout un peuple. Jiro est là quand la terre tremble, pendant le grand séisme du Kantô, en 1923, qui ravagea une partie de l'île de Honshu. Catastrophe qui déferle sur le film dans l'une de ses plus belles scènes : un feu avide dévore Tokyo, monstre de fumée noire contre flots de réfugiés. Mais Jiro est là aussi, acteur malgré lui, quand la Seconde Guerre mondiale vient semer la mort dans un Japon belliciste et allié à l'Allemagne de Hitler. De ces responsabilités nationales et collectives, Miyazaki ne fait pas un film dossier. Il joue plus subtilement les dénonciateurs, par petites touches, au gré d'une conversation avec un voyageur antinazi, ou le temps d'une scène de cauchemar, où notre Icare moderne, hébété, erre dans le chaos rouillé d'un cimetière d'avions.
Cette fresque historique ne serait pas si touchante, si belle sans sa dimension humaine et intime. Hayao Miyazaki dessine le quotidien avec la délicatesse d'un miniaturiste. On pense parfois à Ozu, dans une description douce-amère des moeurs nippones, de la vie familiale et sociale. Et, tandis que tout le monde (les hommes, en tout cas) fume cigarette sur cigarette — cette audace tabagique inédite fait déjà scandale aux Etats-Unis —, notre héros tombe amoureux. La romance, lumineuse et tendre, joyeuse et tragique, donne au film sa respiration, son vrai ciel. Un souffle frais, qui fait voler les chapeaux, les coeurs, et les avions en papier. Le vent se lève et nous emporte.
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