Les héroïnes de films parlent-elles pour ne rien dire ?
Hollywood appartient aux hommes blancs, on le sait. Ce que l'on ne savait pas encore, en revanche, c'est à quel point cette masculinité avait un impact sur les scénarios, plus précisément sur les dialogues. Hanah Anderson et Matt Daniels ont réalisé le 8 avril dernier une étude chiffrée et factuelle pour le site Polygraph basée sur l'analyse de plus de 2 000 scripts de longs-métrages, en associant chaque ligne de dialogue au genre et à l'age de la personne qui la prononce. Leurs résultats sont édifiants : 308 films ont plus de 90 % de lignes de dialogues masculines et 1 211 films en ont entre 60 % et 90 %. Seuls 309 longs-métrages obtiennent une parité et 174 comportent davantage de lignes de dialogues prononcées par des femmes. Conclusion : moins du quart des films américains accordent autant la parole aux femmes qu'aux hommes...
Après la polémique des #OscarsSoWhite qui a mis en exergue le manque de représentation des minorités lors de la préstigieuse cérémonie, nombreux sont ceux à avoir critiqué Chris Rock, présentateur de la soirée, pour s'être focalisé sur la communauté afro-américaine et avoir relégué au second plan les autres minorités visibles aux Etats-Unis. Parmi elles, il y a une minorité hollywoodienne qui n'en est pas du tout une à l'échelle américaine, ni à l'échelle mondiale, puisqu'elles représentent 51 % des terriens, une majorité minoritaire en terme de pouvoir, trop souvent condamnée au silence par l'industrie cinématographique : les femmes. Au sein du cinéma français, elles pâtissent d'une division encore sexuée du travail, surreprésentées qu'elles sont à des postes considérés comme féminins (costumière, scripte) alors qu'elles sont insuffisament présentes dans les professions techniques (réalisation et photographie notamment). Dans son rapport sur la place des femmes dans l'industrie cinématographique et audiovisuelle, publié en 2014, le CNC rapporte que seuls 23 % des réalisateurs sont des femmes. Cette discrimination ne s'arrête pas aux frontières de la France ; elle ne s'arrête pas non plus là où commence la fiction, au contraire.
Pourquoi Mushu parle-t-il plus que Mulan ?
L'étude d'Anderson et Daniels se base sur plus de 2 000 scripts de films américains et non français, mais ses résultats valent probablement pour l'Europe comme pour l'Amérique : le contenu des films est dominé par les hommes blancs. Sur la totalité des longs-métrages analysés, seuls 22 % des premiers rôles et 34 % des second rôles sont attribués à une femme. Le cas où des personnages féminins occupent deux des trois meilleurs rôles dans un film ne réprésente que 18 % des films étudiés. Le nombre de lignes de dialogue se fait d'ailleurs de plus en plus rare pour les personnages féminins après 31 ans alors que les hommes obtiennent un maximum de lignes de dialogue entre 45 et 65 ans. Une actrice a donc toujours moins de choses à dire qu'un acteur et plus elle vieillit, plus le déséquilibre se renforce.
L'étude se concentre particulièrement sur 30 films Disney et remarque que 22 d'entre eux octroient plus de 60% des lignes de dialogue à des personnages masculins. C'est le cas par exemple du Roi Lion, d'Aladdin ou d'Hercule qui possèdent 85 % de lignes de dialogues masculines. C'est compréhensible vu le sexe des personnages... La surprise vient plutôt de certains longs-métrages ayant une héroïne, comme Mulan, pour lequel le pourcentage reste en faveur des hommes. Voire des dragons. Fa Mulan prononce ainsi 50 % de mots en moins que son acolyte Mushu. C'est à se demander pourquoi le film ne s'intitule pas Mushu... Un espoir tout de même : un équilibrage notable se fait sentir ces dernières années depuis la sortie de films tels que Vice-Versa ou Maléfique qui se peuplent de davantage de personnages féminins et leur donnent de plus en plus la parole.
L'important, c'est pas la quantité mais la qualité
Ce mutisme des personnages féminins pourrait être compensé par les thématiques importantes abordées par ces dernières et par la qualité des dialogues. Les femmes parlent peu mais elles parlent bien ? Ce n'est pas le cas. Le sujet de prédilection des femmes dans les univers de fiction n'est autre que... les hommes.
Le test de Bechdel sert à démontrer à quel point certains scénarios sont centrés sur le genre masculin. Une fiction passe le test de Brechdel si elle répond à trois critères cumulatifs. D'abord, elle doit contenir au moins deux personnages féminins qui sont nommés dans la fiction. Ensuite, ces deux femmes doivent discuter entre elles. Enfin, leur sujet de conversation ne doit pas se cantonner aux hommes. Ce test ne suffit pas à prouver qu'un film est sexiste ou non. Il ne permet pas non plus de juger de sa valeur artistique. Il permet surtout de constater qu'un très grand nombre de longs-métrages n'ont même pas assez de personnages féminins pour être validés ou non par le Bechdel ! Dernièrement, ce fut le cas de Batman V. Superman: L'aube de la justice de Zack Snyder et d'Avé César! des frères Coen. Pour enfoncer le clou, l'American Film Institute a dressé récemment une liste des 100 meilleures citations de films de toute l'histoire du cinéma et - vous nous voyez venir malheureusement - seulement 22 d'entres elles sortent de la bouche d'un personnage féminin.
Les hommes font dire ce qu'ils veulent aux femmes
Christopher Vogler, script doctor auprès de plusieurs studios hollywoodiens, a corrigé et retravaillé les scénarios de Hercule, Aladdin, Fight Club ou The Wrestler. Il leur a appliqué la théorie du monomythe de Joseph Campbell, qu'il a étudiée et complétée dans son ouvrage Le Guide du Scénariste. Selon lui, il existe un parcours type du héros qui permet au public de mieux se reconnaître dans le personnage, et c'est ce parcours qu'il tient à reproduire dans les scénarios sur lesquels il travaille. Résultat : son guide est de plus en plus critiqué car considéré comme un moyen de continuer à asseoir la domination masculine dans les oeuvres de fiction. Dans sa préface d'une version corrigée de son livre, il explique : « Il est possible que mon ouvrage comporte des problèmes inhérents au fait que la plupart des théoriciens sur le sujet soient des hommes. Je suis moi-même un homme et je ne peux m'empêcher de voir le monde à travers le filtre de mon genre ».
Il est plus que jamais nécessaire de réequilibrer le milieu de l'audiovisuel afin de voir apparaître de meilleurs rôles et des personnages féminins qui pourront inciter d'autres femmes à se lancer dans le cinéma, pas seulement en tant qu'actrices, mais aussi et surtout en tant que scénaristes et même script doctoresses. Autrement, le serpent mâle continuera encore longtemps de se mordre la queue.
C'est ce que la plupart des commentateurs ici trouve scandaleux. Ça ne nous surprend pas, mais on ne va pas dire pour autant "c'est normal" ou "bouah la parité finira bien par arriver"...