Luc Besson, fleuron du cinéma français ?
Gros beauf pour la critique, figure nationale pour le reste du public, tout le monde a un avis sur Luc Besson. Producteur, scénariste, distributeur, réalisateur, initiateur de la Cité du cinéma... Besson est partout et cherche à importer en France le modèle du grand nabab hollywoodien. L'homme du Grand Bleu n'est-il rien d'autre qu'un cinéaste ringard des années 80 reconverti en machine à pondre des blockbusters à la française ? Et puis, tout simplement, peut-on aimer les films de Luc Besson ?
Besson ou l'âme des 80's ?
Les années 2000 ont tout ingurgité. Toute l'histoire du cinéma, de la musique, du jeu vidéo... La rétro-mania n'a épargné personne. La nostalgie pour les années 80, qui voit Hollywood sortir des remakes en pagaille, s'est pourtant arrêtée sur les films de Luc Besson. Personne, nulle part, n'ose aujourd'hui se réclamer de lui. Malgré ses succès, malgré sa notoriété, malgré Nikita transformé en licence pour série télé, Besson n'a pas fait école. Faut-il y voir un échec ? Si à l'époque on voyait en lui, comme Jean Jacques Beinex et Leos Carax, une nouvelle Nouvelle vague, le mouvement (qui n'en était pas un) n'a pas pris. Trop liés à leur époque, les Grand bleu et autre 37°2 ne font plus rêver. Ils sont devenus des pièces de musées un peu honteuses de l'histoire du cinéma français, un domaine dans lequel la critique a toujours le dernier mot.
Mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain ? Pourquoi sauver le cinéma américain des années 80 plutôt que celui de Besson qui incarne pourtant cette décennie mieux que quiconque ? Il n'y a pas de bonnes raisons. Subway contient par exemple tout le vernis de son époque : une certaine superficialité teintée de romantisme bon marché, le goût de la vitesse et des décors fonctionnels épurés. Besson partage avec Jean-Baptiste Mondino ou Jean-Paul Gaultier ce goût pour le new age et les ambiances de fin du monde. Artisan d'un cinéma qui ne se pose pas trop de questions, il préfère construire des images, des univers auxquels il croit sans réserves.
L'inattendu présent..., extrait de Nikita
Tout pour l'image ?
Qu'ont vu les millions de spectateurs du Grand bleu qui allaient parfois le revoir une dizaine de fois ? Comment en est-on même arrivé à parler de "Génération Grand Bleu" ?
On aura sans doute du mal à saisir aujourd'hui en découvrant le film ce qui a bien pu tant séduire à l'époque. Était-ce les dauphins, la mer, Jean Reno ou ce fameux bleu, couleur de l'infini, auquel on prête tant de spiritualité ? Pour une époque qui est revenue de toutes les utopies et de toutes les croyances (c'est l'après no future, on croit Dieu mort et enterré avec les hippies), ce big blue où plonge Jean-Marc Barr sent bon la métaphysique facile. Puisqu'on ne croit plus à rien sinon au matérialisme (les années 80, les années fric), ce cinéma du rien avec des animaux comme fidèles (mais libres) compagnons fait rêver. On y repousse ses limites (l'exploit sportif comme nouveau bidule existentiel) pour aller loin, dans la nuit des océans, autant dire le vide qui met face à soi-même.
Et si finalement, parce qu'il était ce cinéma du néant, vaguement écolo-mystique, Le Grand bleu était intéressant ? Non seulement comme objet de son temps, mais parce qu'il met en scène mieux qu'aucun autre en France à ce moment-là, cette quête d'un devenir hyper-solitaire coupé du monde. La poésie maritime de Besson ne pèse pas lourd si on s'arrête à son imagerie publicitaire. Elle en prend si on la considère pour ce qu'elle est, sans préjugés, comme l'étrange documentaire d'un désir d'être seul au milieu de rien. Pure satisfaction d'être soi tel un narcisse heureux.
Des films qui sonnent creux ?
On a souvent reproché à Luc Besson la vacuité de ses films. C'est vrai qu'on aura du mal à trouver la profondeur de Tarkovski dans Adèle Blanc-Sec ou Les Minimoys. On répondra que c'est avant tout un cinéaste d'action chez qui importe le mouvement, et donc la sidération (qu'on repense à l'ouverture de Nikita). Qu'il ait trouvé sa place au moment où naissait le blockbuster hollywoodien n'est pas un hasard. A sa façon, avec ses obsessions pour la BD franco-belge, il a participé à dessiner les contours de ce cinéma à grand spectacle qui le mènera jusqu'au Cinquième élément, et à la conquête d'Hollywood (finalement avortée) par les frenchies.
Mais est-ce que l'action justifie tout chez Besson ? A bien regarder, dans un sens oui. Si on prend Subway, probablement son chef d'oeuvre, elle met en avant un scénario abstrait qui n'est qu'un écho tout public du post-punk : un héros sans attaches ni cause, venu de nulle part, est en quête d'un peu de romantisme, en musique et dans les couloirs du métro. Ce côté facile, publicitaire, qui privilégie la séduction à la réflexion en filmant des trajectoires individuelles sert donc quelque chose. Peut-être avant tout la personnalité de son cinéaste, mais aussi un monde qui l'excède, ou tout au moins qu'il capte, et qu'on pourrait résumer par un regard sur le nouvel individualisme. Le fanatisme de Jeanne d'Arc n'étant qu'une variante, ce qui compte étant la certitude.
Une oeuvre puérile et déconnectée ?
Après Subway, les films de Besson tendent à se présenter comme autant de bulles hors du temps, du Paris de Nikita au New-York de Léon. Est-ce parce que, comme l'enfant qui observe le monde des adultes, ils sont repliés sur eux-mêmes, incapables de communiquer ? Le Grand bleu est après tout l'histoire d'un homme préférant vivre avec les dauphins. Nikita celle d'une fille asociale se vengeant des hommes à coups de gros calibre. Jeanne d'Arc entend la Vierge, toute seule, ce qui justifie qu'elle aille trucider les Anglais pour la France. Léon vit comme un autiste jusqu'à rencontrer une ado pré-pubère bouleversant son biotope. Les films de Besson mettent presque tous en scène des personnages solitaires, immatures, naïfs, dont les tentatives de socialisation débouchent d'ordinaire sur un échec. Mais leur innocence, voire leur pureté (d'où cette vision ébahie de l'amour), c'est un peu tout ce qui compte au final.
Compliqué de défendre un tel point de vue, quand il ne se départ jamais d'une certaine superficialité. Dès lors, parlons plutôt d'une foi aveugle. Le héros bessonien se fiche plus ou moins des autres, du monde, il est le plus apolitique de la terre (même son biopic d'Aung San Suu Kyi, The Lady devient une romance). Est-il nul pour autant ? Justement non, puisque les films reflètent pleinement ce rapport là, jusque dans leur façon de vider le monde de sa réalité. Ce qu'on reproche à Besson, c'est de ne pas adopter de distance critique qui justifie socialement, politiquement ou philosophiquement les choses. En gros de ne pas faire les choses dans les règles, alors que ses films ne parlent que de héros qui s'en foutent.
Sauver Mathilda (et la plante), extrait de Léon
Besson, grand manitou du 'french blockbuster'
Manque à cette équation son point final : et Europa Corp dans tout ça ? Car Besson, c'est de la production, de la distribution, une très onéreuse Cité du Cinéma dans le 93 et un studio géant en Normandie où, rumeurs, notre homme jouerait au David O Selznick (comprenez au producteur tyrannique). L'oeil un tant soi peu avisé sait bien que dans tout ça, il y a deux types de films ; qu'on ne peut pas mettre dans le même panier The Tree of Life et Banlieue 13.
Réglons la première question rapidement : quand Besson distribue Terence Malick, on sait que c'est aussi pour le prestige. Normal. L'homme veut voir son nom accolé à ceux qu'il admire. En revanche, lorsqu'il produit et écrit Taxi, From Paris With Love ou Taken, on sait qui parle et surtout qui est aux commandes. Que Besson ait rêvé et réussi, plus ou moins, à recréer un Hollywood français est une chose. Mais on s'étonne moins qu'il ait choisi le modèle de l'âge d'or, où un producteur tout puissant règlemente tout, donnant les scénarios à jouer et le style visuel à adopter. On pourra bien dire que les intrigues débordent les obsessions de ses propres films, puisque au final ce sont les films en soi qui reflètent la haute autorité de leur producteur ; car derrière l'individualisme, c'est aussi de ça dont il s'agit, imposer son regard.
Peut-on après aimer les productions comme les films signés Luc Besson ? C'est plus compliqué. Pourtant, malgré leur indécrottable opportunisme et leur côté racoleur, arrogant et un peu crétin, ils restent ce que le genre a connu de mieux en France depuis un bail.
© Collection Christophe L, © EuropaCorp Distribution
(au fait on fait quoi de "a bout de souffle", "la proie" et "Gardiens de l'ordre" ?)
EuropaCorp a aussi racheté il y a 5 ans Roissy Films, un vendeur de films qui dispose d'un catalogue de perles du cinéma français et mondial très prestigieux, blindé de Melville, de Demy, Varda, Antonioni, Gianolli, Comenchini, De Sica, Verneuil,...