Pourquoi Roddy Piper nous manquera-t-il ?
Roddy qui ? Des tas d’internautes français ont dû se poser la question ce week-end, en apprenant sa mort via Twitter ou Facebook. Des tas d’autres se sont aussi empressés de lui rendre hommage. Les réseaux sociaux forment le plus grand cimetière du monde, où un RIP chasse l’autre, c’est vrai ; il n’empêche : nous étions visiblement nombreux à garder en mémoire ce catcheur devenu acteur pour John Carpenter. C’était en 1988 dans Invasion Los Angeles. They Live, en VO, titre faisant référence au « They Live, We Sleep », le slogan que taguent ceux qui résistent aux colons extraterrestres dans le film. Et maintenant que Roddy ne vit plus, il y a quelque chose de l’ordre du grand sommeil qui semble menacer.
« I have come here to chew bubblegum and kick ass... and I'm all out of bubblegum ». C’est pour balancer ce genre de punch line que John Carpenter embauche Roddy Piper, catcheur WWF de profession, canadien de naissance, écossais lorsqu’il s’agit d’entrer sur le ring au son de la cornemuse. L’acteur d’un rôle : celui de John Nada, un vagabond descendu du train à Los Angeles, pour trouver du travail. Comme son patronyme espagnol l’indique bien, ce héros est une page blanche. Il n’est rien de plus que ce qu’on voit de lui à l’écran : un grand type, baraqué, sans attache mais solide, qui en a probablement vu des vertes et des pas mûres. Piper n’a rien à composer. Il est, tout simplement, entrant dans Los Angeles comme il arrive sur le ring, prêt à faire le spectacle et à attirer les projecteurs.
C’est l’une des beautés d’Invasion Los Angeles : montrer un type dont personne ne veut et qui est condamné à jouer les figurants, devenir un acteur avec un premier rôle à la clé, puis une sorte de réalisateur en prenant de l’intérieur les commandes du film de Carpenter pour le faire exploser. Nada et Snake Plissken, même combat : l'insoumis qui fait tout son possible pour s'emparer de la boîte à images, pour mieux la casser, en tirant sur la caméra ou en soufflant sur l'allumette qui est la dernière source de lumière d'un pays plongé au coeur des ténèbres (Los Angeles 2013).
John Nada, le Snake Plissken du pauvre
Invasion Los Angeles ne peut pas être le plus grand film de Carpenter, pas quand on a réalisé comme lui The Thing ou Halloween. C’est par contre son plus suicidaire, kamikaze plus précisément, au sens où l’on qualifie aujourd’hui certains attentats. Il n’y a qu’à se souvenir de la séquence où Nada pénètre à l’intérieur d’une banque, fusil à la main. La caméra prend soin de le cadrer avec le drapeau américain derrière lui, d’accord, mais justement, on sait que là-bas ceux qui s’autoproclament les plus patriotes sont parfois les plus dangereux. Nada est à ce moment là un terroriste potentiel. Il s’apprête à tirer sur des gens simplement parce qu’il les croit différents de lui, parce qu’à travers ses lunettes spéciales, il les voit sous la forme d’aliens décharnés. Alors il est prêt à faire le ménage…
Il faudra attendre la toute fin du film pour avoir la preuve incontestable que Nada n’est pas fou, que ses visions ne résultent pas d’une paranoïa contagieuse, que lorsqu’il insultait une vieille bourgeoise, tabassait un policier ou tirer sur des producteurs de la télé, il agressait en fait des aliens et le faisait pour le bien commun. Voilà pourquoi l’empoignade entre Roddy Piper et Keith David, qui semble durer 10 minutes alors qu’elle en fait à peine plus de 5, est si longue. L’enjeu à ce moment là pour Nada est de convaincre son comparse que les extraterrestres sont une réalité, qu’ils contrôlent la ville et probablement le monde. Pour le personnage de David, c’est une réalité trop insupportable pour être acceptée sans se battre. Ailleurs, les deux hommes se poseraient autour d’une table et l’un essaierait de convaincre l’autre, mais si Piper est là, c’est pour parler avec les mains. Alors pour montrer la révolution qui s’opère dans le cerveau du personnage de Keith, Carpenter mise sur le physique : le non-croyant est retourné comme une crêpe, se rebelle, prend le dessus, s’en mange une nouvelle, jusqu’à finir terrassé donc convaincu.
La différence entre Roddy Piper et Arnold Schwarzenegger, dont les trajectoires avant le cinéma ne sont pas si éloignées, tient à ça : le premier ne frappe pas pour tuer, il reste inoffensif (encore plus quand on s’attarde sur l’archaïsme des effets spéciaux d'Invasion Los Angeles, qui rend difficilement crédible certains effets des attaques de Nada), et se bat pour faire le spectacle parce que le spectacle est le meilleur moyen d’éduquer les foules. Combien de films de SF s’ouvrent sur une cité d’aujourd’hui, dont les gratte-ciels sont plantés dans des bidonvilles – Peter Jackson s’en est sûrement souvenu au moment de débuter son King Kong –, font un détour par le pôle emploi du coin en dénonçant au passage la prospérité comme une illusion (on voit un panneau pourri d’offres d’emploi, mais quand Nada demande un boulot, on lui annonce qu’il n’y en a pas), montrent discrètement la police comme une force de répression, plutôt que de respect de l’ordre, au service des puissants ? Tout ça dans les 10 premières minutes ? On achète son ticket de cinéma pour une baston entre humains et aliens, et on se retrouve dans un documentaire d'actualité sur les années Reagan, comme le fait Robocop quand il zappe sur les flashs infos. Avec pour guide un pitre musculeux qui, comme nous, va apprendre à réfléchir sur le monde qui l’entoure, à passer de spectateur passif à personnage actif, à arrêter de ses servir de ses mains sans se poser de questions.
Roddy Piper, le John Wayne du pauvre
Piper est un acteur unique – malgré sa proximité physique avec Schwarzy ou Stallone, Carpenter veut clairement en faire un John Wayne, avec la baston calquée sur celle de L’Homme tranquille ou à la grâce d’un cadrage à la manière du dernier plan de La prisonnière du désert – dans un rôle unique, à la tête d’un film unique qui encourage l’action rebelle, sans réfléchir aux conséquences. A l’époque, plus que jamais, Carpenter est hargneux, envers la politique républicaine et envers l’emprise croissante des télévisions sur le cinéma. A ses yeux, une scission s’opère au sein de la société, alors il filme cette dernière en l’accordant à ses pensées : les riches et les pauvres sont devenus tellement différents, qu’ils appartiennent à deux espèces à part.
On n’ira jamais plus loin dans la représentation de l’inégalité s'agissant d'un divertissement grand-public. On ne fera jamais plus fort non plus. Parce qu’en accord avec la rancœur de Carpenter, c’est naturellement un grand studio de télévision que Nada découvre en explorant les coulisses du monde visible. A l’origine des messages subliminaux que cachent la presse au diapason du pouvoir, les publicités couvrant les immeubles, les talk shows, il y a le grand satan du petit écran, dont les pontes se réunissent d’ailleurs à l’occasion d’une réunion qui a tout d’une cérémonie des Emmys.
Invasion Los Angeles, la SF du pauvre
Invasion Los Angeles est un film binaire, parce qu’il ne pouvait pas s’embarrasser de subtilités s’il voulait dire ce qu’il avait sur le cœur. C'est un film revendicatif qui n’a jamais connu de descendance. Et qui n’en connaîtra jamais. Carpenter n’est plus capable de faire des films de cette trempe. Sa prophétie s’est en partie réalisée : « La télévision joue le rôle le plus important dans la standardisation des films. Si vous voulez que votre film puisse passer à la télévision, il faut rentrer dans un certain moule, ne pas dépasser une certaine durée, ne pas choquer un public trop jeune… toutes ces contraintes font que les films finissent naturellement par tous se ressembler » disait-il. Il y a bien eu une réplique – celle qui ouvre ce texte, resservie dans le jeu Duke Nukem 3D, ou un slogan, le fameux Obey en noir et blanc, aujourd’hui développé en marque commerciale (un comble…), mais le totem vivant du film, de son esprit, c’était Piper.
Et le pauvre, il te dit merde
On ne peut pas aller sur la Lune, mais on a la possibilité, lointaine mais rassurante, de voir l’homme qui y est allé. C’est la même chose pour Invasion Los Angeles. Ce type de films n’existe plus, mais on savait que son totem vivant se déplaçait à loisir, toujours prêt à réactiver et à propager le souvenir de l'oeuvre par sa seule présence. Roddy Piper était le Buzz Aldrin d’une SF offensive et politique. Plus rien ne nous relie à cette dernière, désormais.
@Apaulogie : Pas faux, c'est vrai que pas mal de catcheurs se sont reconverti avec plus ou moins de succès dans le 7éme Art, le Catch, ce Sport Entertainmenet en ai tellement proche que cela en devient presque évident. Si cela t’intéresse j'ai fait un liste sur les catcheurs reconvertis en acteurs: http://www.vodkaster...is-en-acteurs/812694 dont le plus fameux et bel exemple reste Dwayne "The Rock" Johnson bien que j'aurai adorer que Stone Cold Steve Austin connaisse le même engouement, tant j'adorais leur rivalité sur un ring, ......