Ça aurait pu être un conte de fée, c'est devenu un cauchemar. Vingt ans plus tard, Adèle Haenel, au prix d'un courage qui force l'admiration, témoigne sur Mediapart : elle y affirme avoir été harcelée et agressée sexuellement lors de son premier tournage, alors qu'elle avait tout juste douze ans. La fin de l'omerta au sein de la grande famille du cinéma français ?
2001. Adèle Haenel, qui n'est encore qu'une enfant, réalise son rêve, qui sera aussi sa vie : jouer la comédie. Un casting sauvage et la future actrice est immédiatement engagée pour jouer dans Les Diables (2002), longue fugue de deux orphelins poussés sur les chemins de traverse. Mais le rêve est de courte durée. Christophe Ruggia, le réalisateur, se serait révélé bien plus qu'un directeur d'acteur. Arguant de la nécessité de la protéger, il l'aurait isolée chaque jour davantage. L'entourage, l'équipe technique se seraient inquiétés, mais auraient préféré accorder le bénéfice du doute au cinéaste. Le drame, c'est qu'il aurait été en fait “amoureux” de la jeune fille, de vingt-quatre ans sa cadette. Il lui aurait écrit des lettres sur ce sentiment “si lourd à porter”. Suivent, selon le témoignage d'Adèle Haenel, un harcèlement et des attouchements répétés au domicile-même du metteur en scène. Adèle n'est encore qu'une collégienne et malgré ses refus, l'emprise se serait installée, des années durant. Ne voyant aucune issue, la comédienne aurait décidé d'arrêter le cinéma en même temps que cette relation toxique, plutôt que de commettre l'“irréparable”.
Grâce à de bonnes rencontres (au premier rang desquelles Céline Sciamma, qui sera sa compagne) Adèle Haenel s'est reconstruite, mais la chose la hantait encore aujourd'hui. Un documentaire actant la nécessité de libérer la parole, Leaving Neverland (sur les victimes supposées de Michael Jackson, 2019), a forcé sa décision. Marine Turchi de Mediapart enquête alors pendant sept mois, recueille des dizaines de témoignages (dont le sien) et compulse l'ensemble dans un article de vingt-sept pages implacables, qui tordent le ventre et laissent peu de place au doute. Dans la foulée, la Société des Réalisateurs de Film (SRF) n'a pas tergiversé et décidé de lancer une procédure à l'encontre de Christophe Ruggia, pouvant aller jusqu’à l'exclusion. On se prend alors à espérer à la fin de l'omerta dans le cinéma français...
Ci-dessous, la vidéo bouleversante dans laquelle Adèle Haenel explique son geste et la journaliste Marine Turchi les conditions de l'enquête, suivi d'un éclairage passionnant d'Iris Brey sur ces questions qui pourrissent le cinéma :
Et pour en savoir plus, Guillemette Odicino de Télérama revient sur l'affaire, se demandant si les accusations de l'actrice vont enfin briser le silence dans le cinéma français.
Pour ma part et de façon un peu périphérique, je n'opère aucune distinction entre l'homme, l'artiste et l'oeuvre (de la même façon que je ne distingue pas la foudre de son éclat). De cette façon il n'y a pas pour moi d'un côté le cinéma des cinéastes et celui des manifestants, c'est un. Mais chacun est libre de penser le contraire