Analyse #5 : La Fille qui en savait trop

Analyse #5 : La Fille qui en savait trop

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Issu du ciné club sur les Gialli:

« La Fille qui en savait trop » de Bava (1963) :

Histoire du film :

Après avoir finalisé son film précédant, « La Ruée des Vikings », Bava passait son temps à lire des romans et histoires policiers et d’horreur tout en pensant se retirer de la réalisation. Il va finalement être convaincu par deux producteurs américains lançant une maison de production de films italiens pour le marché Américain, Samuel Arkoff et Jim Nicholson. Le nom de cette maison de production est la « American International Pictures » et « La Fille qui en savait trop » sera le premier des films qu’ils produiront. Le film devait être à la base une comédie romantique destinée pour le marché Américain, il s’avèrera finalement que pendant le processus d’écriture, le film dérivera peu à peu vers un thriller. A la base, « La Fille qui en savait trop » était donc un film de commande, mais Bava réussira finalement à donner aux producteurs ce qu’ils voulaient, et à côté créé une œuvre personnelle mythique et intemporelle.
Les deux rôles principaux sont tenus par Leticia Roman, dont ce sera le premier rôle principal à l’écran, et John Saxon, acteur américain expatrié en Italie. Roman convaincra Saxon de participer au film, alors qu’il était plutôt difficile pour lui de trouver des projets à son arrivée en Italie. Les relations qu’ont entretenu Bava et Saxon étaient semble-t-il plutôt tendues, il s’est en effet avéré durant le tournage que Saxon avait accepté le rôle car il était amoureux de Roman, et ce dernier tentait souvent d’attirer l’attention de Roman.
Ce sera le dernier film en noir et blanc de Bava, si il avait déjà tourné des films en couleur avant, il décida d’adopter le noir et blanc, d’ailleurs la plupart des films d’horreur Italien de cette période étaient en noir et blanc. Conscient de la pauvreté du scénario, Bava décida de se concentrer sur l’aspect technique du film, effectuant un grand travail notamment sur la lumière.
Le film connaitra un échec commercial à sa sortie le 10 Février 1963 en Italie, ne couvrant pas son budget, c’est le plus gros échec commercial de la carrière de Bava. En effet le giallo (genre dont le film se rapproche fortement), ne connaissait pas encore le succès en 1963, le genre deviendra fortement populaire seulement en 1970 avec la sortie de « L’Oiseau au plumage de cristal » d’Argento. Le film sort aux USA en Mai 1964 dans une autre version remodelée par les producteurs, c’est une version moins sombre, beaucoup plus comique, avec des scènes comiques rajoutées. Avant d’être reconsidéré avec le temps, le film n’a pas non plus connu un grand succès critique, même Bava n’en gardera pas un grand souvenir, cependant aujourd’hui le film est considéré comme pionnier dans le genre du giallo, nous allons voir ce qui en fait le premier giallo, et un film en avance sur son temps.

Analyse :

L’histoire, Nora, joué par Leticia Roman, jeune américaine fan de romans policiers, par en vacances à Rome chez sa vieille tante. Sa tante meurt durant la première nuit que passe Nora chez elle. Cette dernière décide alors d’aller à l’hôpital pour prévenir le docteur traitant de sa tante, le docteur Bassi, joué par John Saxon. En passant par la Place d’Espagne, Nora se fait agresser et voler son sac à main, elle tombe alors dans les pommes, et lorsqu’elle se réveille elle est le témoin involontaire d’un meurtre, ou de ce qu’elle croit être un meurtre. Lorsque la police la retrouve inconsciente et l’emmène à l’hôpital, elle leur raconte ce qu’elle a vue, mais la police ne croit pas son histoire, croyant qu’elle a déliré. Un jeu des apparences commence alors, l’esprit imaginatif baigné par les romans policier de Nora prend parfois le dessus, s’ensuit alors un jeu de faux-semblants.
Ce jeu de faux-semblants peut être facilement rapproché du style d’Hitchcock, dont le film est un hommage évident, de par le titre, qui fait directement référence au film d’Hitchcock, « L’Homme qui en savait trop ». L’histoire qui nous est contée entremêle suspense, fantastique, horreur mais aussi et surtout l’imaginaire, grâce à la psychologie mise en place sur le personnage principal. Bava confronte la réalité à l’imaginaire grâce notamment à un travail assez incroyable sur la lumière et la photographie, faîtes de contrastes, contraste d’une ville de Rome ensoleillée le jour, brumeuse et ténébreuse la nuit, contrastes entre ombres et lumières. Bava utilise sa lumière pour distiller la peur et les peurs de Nora, on pense notamment à l’une des scènes mythiques du film, lorsqu’elle a tissée une toile d’araignée avec des fils dans son appartement, persuadée que le tueur viendra pour la tuée, un jeu de silhouettes, est mis en place, faisant monter la tension à son paroxysme sans que l’on sache qui rôde autour de la maison. Ce jeu constant avec les ombres permet à Bava de souligner la dualité du personnage, qui ne semble plus savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, doutant d’elle-même, de ce qu’elle a vu, ou cru voir. On peut aussi noter le travail étonnant du son dans cette scène, les bruits de pas de la silhouette que l’on voit en ombre chinoise étant étrangement bruyant et le deviennent de plus en plus, des bruits presque irréelle, toujours ce contraste entre la réalité, et l’imaginaire, Nora, terrifiée, croyant entendre des bruits bien plus forts qu’en réalité. Bava développe pendant tout le film des éléments irrationnel pour perdre le spectateur, qui, comme Nora, ne sait plus quoi penser. En effet des éléments fantastiques présents, les bruits exagéré, des jeux de lumières parfois fous, presque impossible, Bava renvoie aux peurs primaires et renforce alors les doutes que l’on peut avoir sur ce que vit Nora, clairement emprise à la paranoïa et à un imaginaire foisonnant depuis le début du film, la première scène du film la présente d’ailleurs ainsi. Un contraste né alors entre la mise en scène puissante de Bava, qui nous fait douter à chaque instant sur l’héroïne, qui semble en proie à la paranoïa et à la folie, et le jeu de Leticia Roman, qui nous fait nous attacher au personnage assez rapidement ce qui nous donne envie de croire en son histoire.
Si formellement, « La Fille qui en savait trop » semble trouver ses bases dans le cinéma d’Hitchcock, il ouvre peu à peu d’autres portes, celui du Giallo. Entre meurtres à l’arme blanche et atmosphère plus ou moins surnaturelle et fantastique, Bava pose les bases dès le début du film et la scène sur la Place d’Espagne où l’héroïne est témoin du meurtre. Les références de personnages seuls dans d’immenses places seront très souvent reprises par la suite, notamment chez Argento dans « Suspiria » ou « Ténèbres » par exemple. L’héroïne est une étrangère, autre thème récurrent dans les gialli, elle est témoin d’un meurtre, mais si elle mène une enquête, c’est surtout une histoire qui la fera enquêter sur elle-même, une aventure qui la fera se confronter à ses propres peurs et fêlure (rappelez-vous du dernier plan de « Profondo Rosso »). Tous ces éléments sont récurrents dans les gialli, Bava met ici en place les bases avant de réaliser un des chefs d’œuvre du genre, « Six femmes pour l’assassin ».

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