Gravity ou la théorie de la relativité
L'excitation légitime suscitée par ses extraits promos a vite laissé place à l'emballement critique autour de Gravity. Le film sort enfin en France aujourd'hui après un excellent démarrage outre-Atlantique. L'occasion de nous demander s'il est bon pour le film de décréter tout de suite qu'il s'agit d'un chef-d'oeuvre...
Sublime claque
Hollywood ne s'arrête jamais pour souffler. La carrière d'un film se jouant dans la plupart des cas dès son premier week-end d'exploitation, il est fondamental de créer l'évènement en amont pour le propulser dans les meilleures conditions possibles au moment de sa sortie. L'industrie du cinéma est ainsi fatalement soumise à une fuite en avant catalysée par le web et les réseaux sociaux. Il faut se dépêcher de jouir de tel film pour accueillir les premières images exclusives de tel autre, dévorer l'énième teaser de ce machin inratable et avaler la nouvelle bande-annonce de ce qui sera sans aucun doute l'évènement de l'année. Dévoré par la frénésie de la promotion, le cinéma semble devenu une passion d'éjaculateurs précoces. Le phénomène n'est d'ailleurs pas limité au cinéma hollywoodien ; on pense par exemple à l'interminable dispositif de teasing mis en place pour la sortie de Nymphomaniac de Lars Von Trier. Maintenu dans un état d'excitation permanent par l'attente du prochain gros truc, il arrive que le cinéphile des temps modernes perde la boule.
Comment aller voir un autre film après #Gravity ?
— Nicolas Gilli (@Nico_Gilli) September 12, 2013
Le site satyrique TheOnion s'est d'ailleurs brillamment amusé de cette folie collective (à laquelle, vous allez le voir, nous avons sans doute aussi succombé) :
L'un des symptômes les plus évidents d'un tel dérèglement est l'usage compulsif des superlatifs. Les films se suivent et finissent par se ressembler, il faut donc, pour faire émerger ce qu'on aime un peu plus que le reste, employer de puissants adjectifs. Alors soudain tout est «sublime» et les «claques» pleuvent sur le visage de la cinéphilie. Et quand ça ne suffit pas, et ça ne suffit jamais, on arrive aux combinaisons les plus absurdes...
Mettre le pied dans ce vibrant engrenage c'est certes prendre le risque de passer pour un vieux con ou un pisse froid, mais, aussi sincère que puisse être l'apologie instantanée, elle a des effets secondaires qu'il serait dommage d'ignorer. On se souvient par exemple que les premiers retours dithyrambiques concernant The Dark Knight Rises avaient été suivis par un violent backlash au moment de la sortie en salle. Plus l'éloge est appuyé, plus la déception est potentiellement grande.
Dans ce contexte de surenchère perpétuelle, le cas de Gravity d'Alfonso Cuarón est particulièrement intéressant. Il n'aura en effet pas fallu attendre longtemps après la fin de la première projection presse pour voir la critique, selon une expression qu'Allociné semble manier sans ironie, « crier au chef-d'oeuvre ». Immédiatement érigé ici ou là meilleur film de tous les temps de la semaine, Gravity s'accommode pourtant assez mal d'un tel statut. Attention, pas parce que le film est mauvais ! Au contraire, ça ne fait aucun doute, il s'agit d'un magnifique survival, lumineux et brillamment rythmé. La réussite technique est totale et le sentiment d'immersion que procure l'effet de relief en fait une oeuvre intense et - allez, soyons fous ! - à couper le souffle. Non. Si l'hystérie autour de ce très beau film est paradoxale, c'est parce que, justement, Gravity appelle avant tout à relativiser et prendre du recul.
Une promenade dans un parc
Du recul prenons-en. Nous sommes en mai 2006 et nous n'avons pas encore envie d'envoyer Patrice Evra - qui ne sera d'ailleurs pas sélectionné pour la Coupe du Monde en Allemagne - faire un tour dans l'espace. Au coeur du fascinant film de Douglas Gordon et Philippe Parreno, Zidane, un portrait du XXIème siècle, une série d'images sous-titrées : «Samedi 23 avril 2005. Au Brésil, sur la plage d'Ipanema, un marionnettiste redonne vie à Bob Marley. Des centaines de maisons sont détruites par les pires innondations que la Serbie-Montenegro ait connues depuis plus de quarante ans. Elian Gonzalez parle à la télévision cubaine. Derniers tests pour l'A380 sur le tarmac de Toulouse. Lecture marathon de 48h pour célébrer les 400 ans du Don Quichotte de Cervantès. Mise en ligne d'une série de nouveaux jeux vidéo. Un vaisseau de La Guerre des étoiles est mis aux enchères sur E-bay. La sonde Voyager enregistre le son d'ondes plasma à la frontière du système solaire. [...] Qui aurait pu imaginer que dans le futur on puisse se souvenir de ce jour extraordinaire comme une promenade dans un parc ?».
A quelques détails près, les 90 minutes de Gravity pourraient se dérouler dans le même temps.
Le film se situe intégralement dans l'espace et la Terre n'est figurée que par la voix d'Ed Harris, éternel Houston. Assez vite, toutefois, la communication est rompue. Il y a du coup un saut intellectuel pas évident à faire pour fixer notre attention sur le destin de ces personnages perdus dans l'espace quand la planète entière se détache à l'arrière plan. Comme si la multitude des destins du monde évoqués par la mi-temps de Zidane... étaient mis, par leur entrée dans le cadre, en concurrence avec le sujet du film. Contrairement à Apollo 13, Space Cowboys, Armageddon ou Mission to Mars dans lesquels les séquences spatiales sont précédées de longues introductions des personnages sur Terre, Cuarón fait ici le choix audacieux de s'en passer.
On pourrait y voir une distinction des codes du genre entre le film catastrophe et le survival intimiste, mais, même dans cette catégorie, rares sont les films qui plongent presque immédiatement le spectateur dans la situation de détresse. Gravity se situe dès lors parmi les plus radicaux : All is Lost ou Buried plutôt que L'Odyssée de Pi, Seul au monde ou encore 127 heures.
Tout n'est dès lors qu'une question de point de vue. Pour se passionner pour les personnages de Cuarón, il faut s'abandonner à la puissance de la fiction et, bien aidé par les images, se dire qu'à cet instant rien n'importe plus que son dénouement.
Cette singularité est d'autant plus importante que dans Gravity justement il faut relativiser pour survivre ; se convaincre qu'un trajet de plusieurs kilomètres en apesanteur et avec des réserves d'oxygène réduites n'est rien de plus qu'une balade dominicale.
La théorie de la relativité
Alors quoi ? Tout est relatif ? Justement pas. Pendant plus de 200 ans, de la fin du XVIIe au début du XXe siècle, la meilleure explication des phénomènes physiques en jeu dans Gravity reposait sur les travaux de Newton et sa loi de la gravitation universelle. La gravité était alors pensée comme une force expliquant aussi bien la chute d'un objet sur Terre que le mouvement des corps célestes. Cette idée d'une force invisible s'exerçant de manière instantanée à distance y compris dans le vide a mis un certain temps à convaincre les plus sceptiques, précisément parce que l'action instantanée n'avait pas de sens au moment où la finitude de la vitesse de la lumière était démontrée. Pour autant, la gravitation newtonienne est amplement suffisante pour décrire la majorité des phénomènes observés dans le Système solaire et à plus forte raison tout ce qui peut se passer dans l'orbite terrestre. Mais la théorie se heurtait à quelques détails observés comme l'effet Shapiro et l'avance du périphélie de Mercure. C'est là qu'intervient Einstein. En élaborant au début du XXème siècle la théorie de la relativité générale, ce cher Albert changeait radicalement le paradigme : la gravitation n'est pas une force, mais la manifestation d'une courbure de l'espace-temps. Pour aider à se représenter la chose, Wikipédia propose une analogie simple : «comme une nappe tendue se déformant sous le poids des objets que l'on y met. Si la nappe est bien tendue et sans corps dessus, une bille légère que l'on fait rouler dessus passe en ligne droite. Si on y place une boule lourde au centre, la nappe est déformée et la bille légère ne va plus en ligne droite, et peut même tomber vers la boule lourde».
Il est alors séduisant d'imaginer une théorie semblable pour expliquer notre relation au cinéma. Les films seraient des masses émotionnelles, plus ou moins imposantes, qui exerceraient une attraction sur le spectateur, non pas par une force invisible, mais par une déformation de l'espace-temps alentour. La dilatation du temps, qui au cinéma est l'effet du montage, est d'ailleurs particulièrement perceptible dans Gravity où l'on voit à plusieurs reprises les personnages lancer sur leur montre un décompte d'1h30 qui correspond pourtant précisément à la durée totale du métrage. Le volume d'espace-temps déformé par un film pourrait ainsi être une manière d'évaluer sa masse. Indépendamment de sa qualité, Gravity qui se consacre au destin d'un nombre réduit de personnages sur un temps effectif très court se présente alors comme un objet fondamentalement modeste ; à l'opposé par exemple de 2001, L'Odyssée de l'espace qui ambitionne d'envelopper toute l'histoire de l'humanité sur plusieurs milliers d'années.
Ainsi, l'humilité affichée par Cuarón, quand il confie qu'en comparaison du Pacific Rim de son ami Guillermo Del Toro, Gravity ressemble à un «petit, tout petit, film indépendant», n'est pas feinte mais lucide. Le parallèle permet par ailleurs d'illustrer assez bien ce qui est en jeu dans les deux longs-métrages. Les rapports de poids, de masse et de taille auxquels sont soumis les objets et les personnages à l'écran sont autant d'expériences physiques ressenties par le spectateur. Les deux films ont aussi en commun des horloges qu'on relance, signes de l'écoulement d'un temps diégétique explicitement dilaté.
N'oublions pas Pluton
Pour inscrire Gravity dans la lignée des films auxquels il peut s'apparenter il faudrait donc, en plus de leur valeur, tenir compte d'une estimation de leur envergure. Notons par ailleurs que cette estimation laisse de côté la portée que peut avoir un film en seconde ou troisième lecture. Or si Gravity est extrêmement simple et modeste au premier degré il renferme également un sous-texte potentiellement très ample sur la question du deuil, voire de la génèse.
Au point où nous en sommes, tentons donc de représenter tout ça en confrontant Gravity aux films marquants dont nous, ou d'autres, l'avons rapproché (survival, films de naufrage, film dans l'espace, science-fiction...).
S'il fallait toutefois trouver dès maintenant une place à Gravity dans l'histoire du cinéma, il n'est donc pas forcément idiot de s'en remettre à James Cameron pour qui il s'agirait tout simplement du «meilleur film "spatial" jamais réalisé». C'est certes limiter le film a une catégorie bien particulière (aurait-on dit de Titanic qu'il s'agissait simplement du meilleur film de naufrage de tous les temps ?) mais pas n'importe quelle catégorie car, il suffit de faire trois pas sur Hollywood Boulevard pour s'en convaincre, le cinéma est obsédé par les étoiles.
Or très clairement, et contrairement par exemple à 2001 qui brasse des thématiques plus largement métaphysiques (encore qu'une telle lecture est également possible à la marge pour le film de Cuarón), la représentation de l'espace est précisément l'objet de Gravity. Un espace domestiqué, autant par l'homme et la technologie (satellites, stations spatiales en orbite) que par le cinéma (depuis Méliès), dont il va pourtant falloir s'échapper. A ce jeu le film excelle en prenant le parti de tenir en permanence à l'écran l'état d'apesanteur à tel point que la gravité finit par manquer au spectateur pourtant cloué à son siège. Pour le reste, il faudra attendre. Attendre pour savoir si, dans la galaxie cinéma, nous venons bien de découvrir une nouvelle planète ou un objet céleste de plus petite taille.
Ils se vident de leur air très vide par le nez et la bouche, chemin le plus facile, les poumons restent en place.
Et j'avais lu quelque part aussi que ça ne gèle pas du tout : la chaleur s'échappe très lentement du corps car il n'y a pas de matière en contact pour sa propagation. Comme quoi Christophe Lambert n'avait pas besoin de remonter son col avant de plonger dans l'espace dans Fortress 2 :
http://www.youtube.com/watch?v=Hw9mkAI1Vr8
Du coup j'ai fouillé un peu, et je suis tombé sur un Q&A de la NASA, qui détaille un peu ce que tu dis, pour les intéressés http://imagine.gsfc..../answers/970603.html
Il y a aussi un article wikipedia dédié à ça, en fait : http://en.wikipedia.org/wiki/Space_exposure
Après, les accidents de décompression et les bubulles associées étant généralement provoqués par des gaz inertes, j'imagine qu'il y a deux cas distincts, suivant que l'astronaute soit dans une space suit (oxygène pur) ou dans une station/astronef (mélange proche de l'air terrestre) au moment de l'exposition au vide.
Tout à coup 2001, Sunshine et Event Horizon remontent dans mon estime :)
(Et même Fortress 2. Un flim avec Pam Grier ne peut être totalement mauvais :p )
http://youtu.be/9Iq5sFqa_PA
Ouais, okay, au lit hein.