Les comiques ont-ils une date de péremption?
Pendant la promotion de Pourquoi j'ai pas mangé mon père, premier long-métrage de Jamel Debbouze actuellement en salles, l'accent a été mis principalement sur la prouesse technique que représente la motion capture à la française. Mais ce que l'on a oublié de dire, c'est à quel point sous ses oripeaux originaux, le film n'est en fait qu'un énième show du comique qui semble ressasser encore et toujours les mêmes blagues. Alors, acteurs comiques et produits laitiers, même combat ? Jamel, les Inconnus, Jim Carrey : finissent-ils invariablement par se périmer et devenir tout moisis ?
Cela va faire près de vingt ans que Jamel Debbouze gesticule dans les médias, la main dans la poche et le verbe approximatif, et ce depuis ses débuts sur Radio Nova en 1995. Soit vingt longues années de « Zimzim' Zidane » et « comment ça va bien ??? ». En 2015, y a-t-il encore des gens qui rient de ces choses là ? Une bonne vanne, c'est drôle une fois. Voire deux, allez. Mais quinze, trente, soixante-douze fois, on a envie de crier stop et de vite passer à autre chose. Et si Jamel prenait des risques ? Il fut un temps où on y croyait, pourtant : à l'époque d'Indigènes de Rachid Bouchareb, et encore avant avec le Zonzon de Laurent Bouhnik, le natif de Trappes avait voulu démontrer qu'il était capable de jouer dans un autre registre, d'évoluer dans des sphères plus sombres que celles dont il avait l'habitude. Mais pour son premier long, il a préféré jouer la carte de la sécurité. Certes en passant par la case de l'animation et de la motion capture, mais sur le fond, cela reste un Jamel Show tout ce qu'il y a de plus classique : une succession peu imaginative de gags pas très drôles et de punch lines attendues. Car non, vous n'échapperez même pas au « Zimzim' Zidane ». Seule différence : Jamel est ici un homme préhistorique et un semblant de savane africaine a remplacé la scène du Jamel Comedy Club. Tant d'innovation, c'en est bouleversant...
Processus de ringardisation
Il existe une autre catégorie de comiques : les anciennes gloires en galère de reconnaissance. Et dans ce domaine, il y a deux troupes particulièrement concernées : les Inconnus et les Monty Python. Toutes deux ont tenté l'an dernier un retour en fanfare en surfant sur leurs anciens succès : les premiers en faisant une suite de leur méga succès des années 90 Les Trois Frères, intitulée Les Trois Frères, le retour (avouons-le : on avait déjà des doutes rien qu'en voyant le titre), les seconds en rejouant sur la même scène du Hollywood Bowl leurs plus grands succès, comme ils l'avaient fait en 1982. En voyant les Monty Python remonter sur scène 32 ans plus tard et quasiment au complet (« One down, four to go ! »), on a l'amère sensation d'assister à un show de vieux ringards usés et totalement dépassés, rejouant mollement leurs meilleurs sketchs dans une sorte de spectacle maxi best-of écoeurant d'automatisme, sans vie et sans Graham Chapman. Lorsque les britanniques avaient annoncé leur intention de remettre le couvert, Terry Jones s'était fendu de quelques déclarations en annonçant qu'ils faisaient ça exclusivement pour l'appât du gain, ce que John Cleese avait lui aussi confirmé. En voyant le résultat sur scène, il semble pourtant que derrière ce second degré, les bougres étaient en fait totalement sérieux. Seul Terry Gilliam semblait suffisamment lucide pour émettre quelques doutes sur cette réunion ultra médiatisée et ultra décevante pour les fans, qui préfèrent garder en mémoire le spectacle original de 1982.
Même constat en ce qui concerne les Inconnus : après avoir tutoyé les sommets entre les années 80 et 90, les voilà ringardisés dans une comédie pourtant écrite par leurs soins et qui semble être toujours bloquée à l'époque d'Antenne 2. On nous refait le coup de la scène délirante sous psychotropes ou celui du personnage déguisé en femme (oui, comme dans Ma femme s'appelle Maurice). Les mêmes vannes qu'il y a 20 ans, l'inspiration en moins mais les kilos en plus. Même Didier Bourdon, pourtant largement le plus drôle des trois, a l'air de ne pas trop savoir ce qu'il fait dans cette galère. Une nouvelle fois, on est en droit de se demander pour quelles raisons une telle suite existe. Besoin d'argent, manque de reconnaissance ? Les deux à la fois ? Dans tous les cas, et de la même manière qu'avec le spectacle de retraités des Monty Python, voilà de quoi écorner leur mythe auprès de générations entières.
Hollywood, ton univers impitoyaaaaaaableuuuhhh
Et les stars hollywoodiennes dans tout ça ? Sont-elles à l'abri de ce vilain coup de bâton ? Que nenni ! Preuve en sont les carrières en perte de vitesse de Will Smith et Jim Carrey. Le Prince frais de Bel Air fut l'une des plus grosses vedettes des années 90, enchainant les mega hits que furent Bad Boys, Independence Day et Men in Black entre 1995 et 1997. Dans chacun de ces films, il excellait dans le rôle du mec à la cool, toujours plein d'ironie et à la répartie cinglante. Bref, ce que l'on appelle plus communément un showman, un mec rigolo et le digne héritier du Eddie Murphy des années 80. Aujourd'hui, la carrière de Will Smith suit la même pente que celle de son aîné. Si l'on se penche sur ses derniers films, hormis le carton Je suis une Légende (dans lequel il ne fait pas beaucoup rire), on se retrouve avec Hancock, Men in Black 3 et After Earth. Soit un film de super-héros pas très réussi et pas très drôle, une suite sans idée, et un pur produit commercial qui n'a pour seul but que de promouvoir le fiston. Alors Smith a encore de la marge pour atteindre les fonds abyssaux dans lesquels nage Eddie Murphy (on attend encore l'équivalent d'un Norbit pour lui), mais il semblerait qu'il ne fasse plus rire personne. Finalement, on se demande si son rôle le plus drôle de ces 15 dernières années ne serait pas aussi le plus court : son caméo de cinq petites minutes en journaliste sportif à batte de baseball dans le climax de Légendes vivantes.
D'ailleurs, qui retrouve-t-on dans cette séquence totalement absurde et bourrée de caméos improbables ? Jim Carrey ! De là à penser que les films d'Adam McKay sont prêts à accueillir toute star vieillissante en manque de reconnaissance, il n'y a qu'un pas que l'on franchit allègrement. Parce que la carrière de Carrey a elle aussi du plomb dans l'aile : on l'a vu dernièrement dans Dumb and Dumber De des frères Farrelly, qui tente vainement de reproduire une formule qui fonctionnait dans les années 90, mais qui s'avère aujourd'hui triste et bizarrement pathétique. C'est aussi sans doute lié au fait de voir deux quinquagénaires faire des blagues pipi-caca-prout alors qu'ils n'en ont définitivement plus l'âge. Qui a encore envie de voir ça, franchement ? Visiblement pas grand-monde, le film ayant fait un four au box-office. Voilà donc Jim réduit à faire coucou dans quelques films, comme The Incredible Burt Wonderstone (un bide), mais aussi à la télé dans des séries à succès (The Office et 30 Rock). C'est toujours mieux que rien, mais qu'il est loin le temps des deux Ace Ventura, Dumb et Dumber, The Mask, Disjoncté et Fous d'Irène ! On ne parle même pas de Man on the Moon, qui avait fait éclater toute sa palette de jeu (pas seulement comique) au grand jour. Et on évitera enfin de mentionner sa passion chelou pour Emma Stone. Ironiquement, on constatera juste que sa place au coeur de l'univers de la comédie américaine a été prise par son ancien compère du Saturday Night Live, Will Ferrell.
Un platane et une maison de retraite
Il n'est donc jamais facile pour un comique de se renouveler, tant cela lui demande une énorme prise de risque à tous les niveaux. Mais certains s'y essaient tout de même, et parfois avec réussite, comme c'est le cas d'Eric Judor. On n'aurait pourtant pas misé beaucoup sur son compte, après les catastrophes industrielles que furent Les Dalton et Double zéro. Bon, il lui arrive encore de perdre un peu de lucidité (Halal police d'état, c'était vraiment pas obligé), mais depuis sa rencontre avec Quentin Dupieux en 2007 pour Steak, il semblerait que Judor ait décidé de suivre une voie différente. En témoigne sa série pour Canal+, Platane. Une sorte de croisement entre Curb Your Enthousiasm de Larry David et La Vie de Michel Muller est plus belle que la vôtre de Michel Muller, et un exercice compliqué de série méta à la française. Et le résultat est à la hauteur des attentes : Judor se donne le sale rôle et s'amuse à dézinguer son image et celle du cinéma français, le tout en deux saisons dans lesquelles l'absurde côtoie le malaise le plus total. Maintenant qu'il est l'un des acteurs fétiches de Dupieux (on le retrouve aussi dans Wrong et Wrong Cops), Judor semble vouloir intégrer une autre sphère de l'humour, davantage auteurisante. Reste à savoir s'il en a définitivement fini des vannes parfois faciles et des approximations lexicales chères à son duo avec Ramzy.
Une autre des inspirations d'Eric Judor est à trouver outre-manche, où ont régné pendant 10 ans Ricky Gervais et Stephen Merchant (et brillamment, on le rappellait ici), avec The Office, Extras et Life's Too Short. Depuis, Gervais a écrit en solo Derek, série qui tend à verser dans le larmoyant en oubliant parfois d'être drôle. On peut y voir un geste artistique voulant prouver au monde entier que non, Ricky Gervais n'est pas seulement ce petit méchant britannique bedonnant qui aime se moquer des stars américaines ; car au fond de lui, il y a aussi un coeur qui bat. Alors certes sa série ne fonctionne pas à tous les coups, mais on ne pourra pas lui reprocher d'essayer quelque chose de différent. On attend encore que Jamel Debbouze en prenne de la graine.
Mais je te rassure, tout comme toi je l'attends avec une impatience non feinte le TMI2. Et tu noteras que j'ai volontairement oublié de parler de Mohamed Dubois...
Pour le reste, c'est le principe de la vieillesse de ne plus sentir son époque et c'est là que les jeunes interviennent... Il suffit de voir comment Palmade avait relancé la carrière de Maillan à l'époque. Le seul problème, c'est que souvent les jeunes s'en tapent de bosser avec ces anciens... Et pourtant... Les réinventer c'est un excellent challenge pour les nouveaux réa' !