« Me voici, je suis Sa Majesté le Napolitain Normal. Personne n'attendait un napolitain timide qui parle sottovoce ... c'est peut-être pour cela que je fais rire. » Acteur-auteur-metteur en scène passé du cabaret (en 1977 avec le mémorable trio La Smorfia) à l'écran, Massimo Troisi aura dignement prolongé, renouvelé la grande tradition tragi-comique napolitaine, sublime mélange de drôlerie, d'amertume et de poésie.
Terrassé par un infarctus au lendemain du tournage du Facteur (Il postino), Massimo Troisi est aujourd'hui un mythe. Et dire qu'il reporta une transplantation cardiaque pour tourner cette adaptation d'un roman du chilien Antonio Skármeta, Une ardente patience, dont il avait acheté les droits ! « C'est la plus belle chose que j'ai jamais faite », confessait-il, fatigué, amaigri, dès la mise en boîte de la dernière scène. Massimo avait 41 ans. Souffrant d'une malformation cardiaque, il plaisantait sur sa maladie et sur la mort. Jeu macabre et désacralisant qu'il justifiait par ce « Je suis napolitain et ces choses rallongent la vie. »
San Giorgio a Cremano, sa ville natale aux portes de Naples, lui a dédié une place. Ses bustes en plâtre voisinent avec les santons des boutiques de crêches napolitaines. Séminaires, programmes TV ou expositions rendent hommage au héros du mélodrame de l'Anglais Michael Radford*. C'est l'émouvant récit de l'amitié entre un facteur, fils de pêcheur, et son unique client, le poète chilien Pablo Neruda, en exil sur une île du sud de l'Italie en 1952. Neruda (interprété par Philippe Noiret) lui enseigne l'amour de la poésie et son élève apprendra à l'utiliser pour conquérir le coeur d'une ravissante jeune femme. Par ailleurs, le poète lui parle de son autre passion : le communisme. Après le départ de Neruda, son ami attendra de ses nouvelles, lui enregistrant les sons de son univers et écrivant une poésie en son honneur. Quand cinq années plus tard, Neruda retourne sur l'île, il ne trouve pas son facteur tué dans une manifestation politique. Tout l'art de Troisi (son personnage) se définit dans cette éducation à la culture et cette tentative de changer le monde. En fait, il ne joue pas. Il est lui-même : embarrassé, gauche, délicat, éminemment sympathique. Comme il l'était dans la vie, d'ailleurs, cordialement et affectueusement communicatif. Son humour jamais vulgaire était fondé sur la simplicité, sur de subtiles nuances de sentiments et sur des réactions timidement allusives, riches de suspensions, exprimées en mangeant les mots dans un napolitain quasi incompréhensible, avec l'ensemble de la physionomie et les mains.
Sa carrière fut brève mais exemplaire et sans compromis. En une quinzaine d'années, il signa cinq films comme acteur-auteur-metteur en scène (inédits chez nous) et en interprèta six autres, dont trois sous la direction d'Ettore Scola. Bien qu'elles soient parcourues par une bonne dose d'humour, il émerge de ses réalisations un malaise existentiel. Parmi les jeunes auteurs italiens - et pas seulement comiques - Troisi était celui qui affrontait avec sincérité et pudeur les thèmes de l'incommunicabilité entre les sexes (« Je ne suis pas opposé au mariage mais je trouve qu'un homme et une femme sont les personnes les moins aptes à se marier » ), de la confusion émotive qui culpabilise l'homme occidental, faible et fragile. Il démystifiait les lieux communs et observait le quotidien petit-bourgeois avec acuité. Qu'était-il alors ? Un comique à la Woody Allen ; un comique de la souffrance moderne aux réflexions sérieuses ; un inquiet qui voulait faire sourire et qui, pourtant réfractaire aux stéréotypes napolitains, mais avec un sens de la mesure rare, pouvait être délirant comme lors d'une interview donnée après que Naples eut remporté le championnat de football 1987, ou durant une soirée de 1992 consacrée à son compagnon de travail, le musicien Pino Daniele. Deux mémorables happenings télévisuels.
Se situant quelque part entre Eduardo De Filippo et Totò, monuments auxquels la médiocre connaissance que nous en avons ne permet pas de rendre convenablement justice, cet attachant interprète des sentiments, « beau comme une statue, branlant comme une marionnette » selon le collègue Roberto Benigni, a profondément pénétré le coeur du public, produisant une impression à laquelle il est difficile de se soustraire. Prolongés par l'image, son souvenir et son sourire plus doux qu'ironique s'évanouiront difficilement.
- En Italie, et seulement en Italie, le film est crédité Radford/Troisi pour des raisons strictement commerciales. Les précédents succès de Massimo ont poussé les producteurs-distributeurs à utiliser son nom dans l'espoir de meilleures rentrées. Le résultat dépassa largement leur attente.