Et si, désormais, l'amour au cinéma était meilleur entre amis ?
La comédie américaine semble avoir dernièrement amorcé un virage reléguant les coups de foudre au placard. Loin des nuits blanches des années 90 où l'amour pouvait naître à des milliers de kilomètres avant même que les futurs amants ne ce soient rencontrés, les love stories d'aujourd'hui se travaillent au corps, entre potes.
Vous rappelez-vous quand Harry expliquait à Sally que l'amitié entre homme et femme était impossible, à cause de la tension sexuelle qui s'immiscerait forcément dans le jeu ? Okay, eh bien les temps ont changé. À tel point qu'aujourd'hui, on se demande si l'amour entre homme et femme n'est pas au contraire, impossible à montrer au cinéma sans qu'il soit enduit d'une franche camaraderie.
L'amitié entre homme et femme n'existe pas extrait de Quand Harry rencontre Sally
Alors qu'initialement, la bromance était une façon taquine de représenter l'amitié masculine en termes romantiques (mais hé, « no homo »), depuis quelques mois, Hollywood s'amuse en effet à représenter les relations amoureuses comme s'il ne s'agissait que d'amitié gaillarde. Cameron Diaz et Jason Segel s'envoient des ballons de basket à la gueule dans Bad Teacher pendant que Mila Kunis et Justin Timberlake se mettent en boîte dans Sexe Entre Amis? Chaque fois, la relation de couple est mise en scène en reprenant les codes de la bromance, faisant de l'homme et de la femme, des best buddies qui se mettent minables à la Budweiser dans un rade un peu nul avant de finir, entre autres, par coucher ensemble.
Are you asking me out? extrait de Sexe entre amis
Les comédies américaines récentes explorent ce jeu de l'amour et de l'amitié à partir de deux personnages-types qui renouvellent les codes de la comédie romantique.
Le sex friend : Un concept, deux comédies romantiques jumelles.
aka « friend with benefits », « fuck friend » ou « bonk buddy » (on dit merci à Urban Dictionary).
Sex Friends (No Strings Attached en VO) et Sexe Entre Amis (Friends With Benefits en VO) ont littéralement le même synopsis, peu de temps après Love and Other Drugs, qui évoquait, entre autres méandres mélodramatiques, le même type de relation. Laquelle ? Il s'agit du légendaire « sexe sans sentiment », posant la question de savoir si un tel parti-pris est possible.
La Bible virtuelle extrait de Sexe entre amis
Ces comédies tentent de nous vendre les bienfaits (ou l'impossibilité) d'une relation purement physique, débarrassée de l'angoisse de la relation qui est censée aller avec. Dans Sexe Entre Amis, Justin Timberlake compare le sexe à du tennis, une activité sportive comme une autre à pratiquer avec un bon pote. La relation amoureuse est alors rejetée comme une forme de pression sociale, liée à l'angoisse du date, de l'engagement, du mariage, de l'image de soi en société, de la perte de sérénité?
Congrats extrait de Sex Friends
Seulement, dans « sex friend », il y a (aussi) « friend ». Il apparaît vite que, débarrassée de son vernis amoureux jugé factice, la relation s'épanouit sur les bases d'un naturel qui n'est plus entravé par les codes sociaux, mais fuir l'engagement ne garantit en rien d'échapper aux sentiments, bien au contraire. Eh oui, lapalissade de l'année, l'amitié est une source de sentiments.
This is nice extrait de Love, et autres drogues
C'est comme si ces films cherchaient à reconstruire la perception du sentiment amoureux pour émettre l'hypothèse selon laquelle, finalement, ce n'est avant tout rien d'autre que la rencontre harmonieuse de l'épanouissement sexuel et de la complicité amicale.
L'average dude, nouvel idéal masculin.
Cette autre piste est née dans les comédies (pas spécifiquement romantiques, d'ailleurs) estampillées Judd Apatow. L'average dude, c'est le gars normal, ni très beau, ni très fort, ni même très intelligent, l'average dude en gros, c'est Seth Rogen. Apatow a fait son fond de commerce de ces « types bien », ces mecs pas géniaux et très ordinaires, que vous ne remarquez jamais jusqu'à ce qu'un tiers vous précise « Oh, lui ? c'est vraiment un type bien. ». Il ne s'est d'ailleurs pas contenté de les réhabiliter, il les a rendu cools.
Qu'il s'agisse de Bad Teacher ou de Mes Meilleures Amies, les héroïnes sortent avec un type qu'elles voient comme l'homme de leurs rêves, certes, mais qui s'avère n'être que le reflet de leur propre vanité (il est beau, riche, bien habillé, etc.). En réaction, celui qui vient prendre la place du golden boy dans leur coeur, s'avère être extraordinairement normal. Il y a comme une saveur de renoncement, dans les matches de lovers que ces deux films mettent en scène. C'est comme si les schémas amoureux de ces comédies suivaient la conjoncture économique pour forcer à une espèce de réalisme de crise.
Dans Bad Teacher, Cameron Diaz fait les yeux doux à un Justin Timberlake beau, friqué, aimé de tous, poli, propre sur lui? Face à lui Jason Segel est un prof de sport, globalement assez beauf, grossier, bedonnant, mais taquin.
Out of your mind extrait de Bad Teacher
Certes, on imagine assez bien Cameron Diaz faire des soirées foot-pizza et des concours de rots avec lui, mais il laisse aussi l'impression qu'il la fera jouir comme personne avant lui, tout simplement parce qu'il sait comment fonctionne une femme et qu'il est à l'écoute.
Dans Mes Meilleures Amies, Kristen Wiig se fait mener en bateau par un golden boy de supérette, joué par le John Hamm de Mad Men, au point de ne pas voir les vraies qualités du flic sympa joué par le nerd de IT Crowd, affublé d'un accent irlandais (accent irlandais aux USA = péquenot).
Discussion sur le capot d'une voiture extrait de Mes meilleures amies
Et ne vous y trompez pas, ce n'est pas le genre de flic qui roule en Ferrari sur les avenues livrées à la pègre de Miami, mais plutôt celui qui vous apprendra à faire un contrôle radar. Bref, un mec qu'on peut croiser au supermarché, comme si ces films enjoignaient à fantasmer plus modeste.
Plus modeste, mais pas forcément dans un sens négatif. Le « lover de crise » n'est pas parfait, mais il est à l'écoute. Ces deux films nous montrent des personnages féminins en crise qui doivent accepter de mûrir. Est-ce que mûrir, c'est cesser de croire au prince charmant, et accepter d'entrer dans une relation « adulte », c'est-à-dire fondée sur le partage et non sur la flatterie narcissique de son ego ? Sans doute. Les personnages masculins n'agissent pas comme des sauveurs, mais plutôt comme les révélateurs d'une nouvelle maturité.
L'émergence de ces figures nouvelles, du sex friend à l'average dude, est le signe d'un épuisement du paradigme du « Prince Charmant des temps modernes » dans les comédies américaines. Exit les « you complete me », les âmes soeurs, les golden boys, les nouveaux princes charmants, Mr. Big, Darcy et leurs amis. Représenter l'amour passe de plus en plus par la camaraderie. Alors peut-être qu'on ne retrouvera pas de gifs animés de Jason Segel sur les tumblrs d'adolescentes (cadeau) mais, qui sait, peut-être qu'on arrivera enfin à affranchir la « rom-com » de ce cliché du « film de fille » qui lui colle à la peau, et cette perspective a quelque chose de réjouissant.
@MonsieurMit Généralise pas sur les mecs et les comédies romantiques. ^^
En fait, moi j'attends surtout depuis DES ANNEES la "status rom-com" qui serait un peu le Harry & Sally du XXIe siècle, le truc qui cernerait les relations amoureuses avec intelligence et qui donnerait ENVIE de tomber amoureux. Ce n'est pas arrivé depuis trop longtemps.
et @MonsieurMit: Patrick Dempsey n'est jamais meilleur que quand il est un geek infame dans "Can't Buy Me Love" (1987), eheh! Paul Rudd a déjà été un lover idéal puisqu'il est le mec reprenant le personnage "à la" Knightley dans Clueless
@FilmsdeLover: pour Alan Rickman, oui et non. Mais surtout non. Rickman est une source de fantasme très ouvert de beaucoup dej eunes femmes (dont moi). Parce qu'il a une classe folle, une voix à tomber et qu'il incarne la virilité tranquille. Ca le rend pas average du tout. De plus, le Colonel Brandon s'insère dans un schéma romantique austenien qui n'est pas tout à fait de l'ordre du "deuxième choix pas génial", il est ouvertement mis sur le même plan qu'un Fitzwilliam Darcy (oulà, je m'emballe, stop Virginie).
(the man IS sex)
Le but ultime de ma vie de scénariste (amateur) ^^