Le Congrès : vers la fin des acteurs ?
Dans son nouveau film Le Congrès, en salles cette semaine, le réalisateur israélien de Valse avec Bachir (2008) imagine au métier d'acteur un futur tout sauf reluisant...
Robin Wright dans la Light Stage
Jeunesse éternelle ? Oui mais...
Le film met en scène Robin Wright dans son propre rôle et la plonge dans un futur d'autant plus saisissant qu'il semble davantage proche de nous que bien des créations de science-fiction vues en salles ces derniers temps. Mieux : l'histoire questionne l'avenir de ce qui nous intéresse, le cinéma. L'actrice s'y voit proposer par la Miramount (mix évident entre Miramax et Paramount) d'être scannée numériquement afin que son image, détenue par le studio, soit exploitée au cinéma sans que sa présence soit nécessitée sur aucun tournage que ce soit. L'artiste, elle, ne serait plus supposée faire d'apparitions médiatisées afin de ne pas entraver l'illusion entretenue par les pontes d'Hollywood. Elle pourrait ainsi redevenir et demeurer éternellement la jeune tête d'affiche de The Princess Bride (1987) aux yeux du public.
Si toute la première partie du film, centrée sur la négociation de ce contrat éminemment radical, est aussi frappante, c'est que le futur qu'elle décrit semble à porter de vue. En effet, la technologie employée pour scanner Robin Wright pourrait n'être qu'une version ultra-aboutie de la performance capture. Inauguré avec Le Pôle express de Robert Zemeckis (2003), ce procédé est à ne pas confondre avec la motion capture, plus ancienne, plus simple et plus fréquemment utilisée.
Motion capture ? Performance capture ? Késako ?
Les deux techniques ont en commun de recourir à des capteurs posés sur des combinaisons revêtues par les acteurs. Des caméras infrarouges détectent uniquement les capteurs en question. En reliant informatiquement ces derniers, l'équipe technique est à même de reconstituer une forme, un mouvement en post-production.
Quant à la performance capture, elle prend en compte l'expression faciale et franchit un tel pallier dans la qualité de la captation que le moindre petit mouvement d'un doigt ou des lèvres est enregistré sur ordinateur. « La performance capture est une version "upgradée" de la motion capture, elle est sa version ultime, la plus fine qui soit ». Afin d'améliorer la captation des expressions du visage, de nouvelles techniques ont progressivement vu le jour : des caméras HD placées devant le visage de l'acteur (Avatar, Les Aventures de Tintin : le Secret de la Licorne) et désormais la Light Stage, utilisée sur le tournage de Gravity, le film très attendu d'Alfonso Cuarón, et visible dans Le Congrès. La Light Stage est « un immense globe de lumières et de caméras qui permet de scanner le corps d'un acteur avec une fidélité inédite » selon Capture Mag. Si on connaît encore assez mal cette technologie, il semblerait qu'elle permette de capter les mouvements faciaux et de les stocker informatiquement comme une sorte de répertoire d'expressions afin de reconstituer par la suite des prestations en 3D. D'une certaine manière, la Light Stage conduirait donc à "créer" des performances, comme c'est le cas dans Le Congrès. La sortie de Gravity en octobre prochain amènera certainement son lot de précisions sur la technique employée...
Une étendue infinie des possibles ?
Le potentiel créatif amené par la performance capture est bien entendu énorme. Ce qu'on appelle désormais « cinéma virtuel » consiste, après cette captation des performances des acteurs, à créer tout un univers dans lequel ceux-ci vont être placés, le tout sur ordinateur. Des outils permettent de reproduire tous les procédés de mise en scène (zoom, travelling, jeu sur les focales, etc.). Sauf que la caméra virtuellement maniée par le chef opérateur dispose d'une infinité de possibilités, pouvant effectuer des trajectoires aussi vertigineuses que celles visibles dans Le Drôle de Noël de Scrooge (2009) ou le Tintin de Spielberg.
A la poursuite du faucon, extrait de Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne
Le travail d'acteur est donc l'unique composante du travail du tournage à proprement parler. « Dans le volume [espace dans lequel les performances vont pouvoir être captées par infrarouge], un acteur peut jouer une scène entière d'un seul trait. Il n'y a pas de machinerie, de marques à respecter, de coupure entre les prises. La performance peut être capturée pendant les changements de décors, pas de temps à attendre un changement de pellicule. L'acteur ne doit s'occuper que de son jeu et des émotions qu'il cherche à traduire. Dans le même ordre d'idées, le tournage peut très bien être chronologique, puisque ne dépendant pas de facteurs extérieurs. En résulte une sensation de liberté totale, et en soi une forme d'expérimentation qui plaît énormément aux personnes concernées, les acteurs », selon Courte Focale. A noter que, dès lors que leur performance est ensuite traitée informatiquement, l'apparence physique des interprètes peut être radicalement modifiée. Ainsi de Simon Pegg et Nick Frost qui, tout en ne se ressemblant en rien, ont pu incarner les mythiques Dupond et Dupont. La chose va assez loin : tandis que Dominic Cumberbatch incarnera Smaug, le dragon du deuxième volet du Hobbit, Kathleen Turner jouait dans Monster House... la maison hantée. Ces extrémités du procédé inspiraient à Michael Bay et Jon Favreau cette parodie :
Sombres pensées
La technique, si elle en amuse certains, peut visiblement en alarmer d'autres. Selon la note d'intention de son réalisateur Ari Folman, Le Congrès « s'interroge sur les technologies de la 3D et de la capture de mouvements qui risquent de détruire le cinéma avec lequel nous avons grandi. Dans l'ère post-Avatar, chaque cinéaste doit se demander si les acteurs de chair et de sang qui enflamment depuis toujours notre imagination peuvent être remplacés par des images de synthèse en 3D. Ces personnages numériques peuvent-ils éveiller le même enthousiasme en nous, et est-ce important ? ». Le film va très loin dans la portée qu'il imagine au nouveau dispositif de la Light Stage : d'abord compilés informatiquement, les moindres gestes composant le jeu des acteurs servent ensuite à créer de toutes pièces des prestations inédites (n'est-ce pas déjà le cas ?), puis sont transformés en formule chimique dans une seconde partie fantaisiste et particulièrement anxiogène qu'on se gardera bien de dévoiler.
Toujours est-il que, s'il soulève une vraie question quant aux avancées techniques et à ce qu'elles peuvent faire perdre au cinéma sur certains plans (authenticité, proximité, etc.) tout en lui apportant beaucoup sur d'autres, le cinéaste semble oublier que la performance capture n'en est qu'à un faible stade de développement et que la Light Stage n'est encore que très peu connue, même des passionnés du cinéma virtuel. Si plusieurs productions telles que Le Hobbit ou La Planète des Singes : les Origines utilisent la perf-cap pour rendre plus réalistes certains personnages fantaisistes, les longs-métrages tournés en utilisant majoritairement le procédé sont encore très peu nombreux (voir notre liste). Et surtout, les acteurs y sont encore indispensables, au coeur même d'un processus qui semble à ce jour ravir ceux qui l'ont expérimenté.
Sources : Courte Focale, Capture Mag
Découvrez des images du tournage de Tintin en performance capture
Cet avenir apocalyptique repose sur 2 choses, je pense. Déjà la technique : est-ce qu'on pourra un jour détenir et exploiter une/des image(s) afin d'en faire ce qu'on en veut ? Probablement que oui mais il ne faut pas trop se lancer dans les hypothèses hasardeuses.
Secondement, le public : est-ce que le public suivra ? Est-ce que c'est intéressant de regarder un film où l'on ne voit plus (véritablement) d'humains... ? A priori je dirais non mais quand on voit le succès d'Avatar...
Et est-ce que n'importe quel film vaut le coup d'être vu en performance capture ? Je ne pense pas.
Je n'ai pas vu Le Congrès mais en effet, cet avenir proposé serait, si ce n'est horrible, troublant...
Je me trompe peut-être mais je pense qu'on aura malgré tout toujours deux types de films. De plus comme le dit @gustaveshaimi, on sait qu'il y a un acteur derrière l'image même si on ne le voit pas forcément à l'écran. Pour Avatar, je trouve que le rôle de Sam Worthington n'en est que plus fort justement parce qu'on le voit intervenir aussi bien en tant qu'être humain qu'Avatar.