Berlinale 2012 : La terrible réalité
Durant cette semaine de festivités berlinoises, retrouvez nos envoyés spéciaux, les fiers et talentueux Chris et Hendy, pour nous raconter leurs aventures au pays des saucisses et de l'anti-nucléaire. Et parfois, ils parleront aussi un peu de cinéma.
Le regard envieux que nos dirigeants posent sur nos voisins d'outre-Rhin ne saurait mentir : juste après le pays des fées, l'Allemagne est le plus bel endroit du monde. Son plus important festival de cinéma, cette Berlinale qui a l'honneur de trôner sur le podium des trois grands, aux côtés de Cannes et Venise, est donc forcément le plus beau du monde (juste après le festival du film de fées de Poudlard-sur-isle, du 29 au 31 février). Est-ce vraiment le cas ? Mus par notre insatiable soif de vérité, nous avons abandonné une enquête prometteuse sur la franc-maçonnerie commandé par un prestigieux hebdomadaire français, pour braver le froid berlinois et savoir si la réalité de la Berlinale est à la hauteur de sa légende. C'est en toute mauvaise foi que nous prouvons que ce n'est pas le cas et redonnons sa fierté à notre beau pays.
Arrivée à Berlin extrait de Un, deux, trois
La légende : pendant la Berlinale, les rues de Berlin sont pavées d'or et l'argent coule à flot.
La réalité : c'est faux. Ce scintillement du sol, au moment où la nuit tombe (autour de 15h donc), n'indique pas la présence du précieux métal, mais bien celle du verglas, qui transforme n'importe quel sprint en candidature à Vidéo Gag. Quant à l'argent, il s'agit d'une illusion d'optique : tout le monde paie en espèces (habitude allemande nous dit-on), d'où cette circulation ostentatoire de billets de banque. Pour le prix d'un panini à Cannes, on a ici une table au Ritz-Carlton (vin compris), c'est dire si le Berlinois n'a aucun sens des valeurs.
La légende : la Berlinale est un festival vert et écolo.
La réalité : c'est faux. Le Festival de Tokyo a un vrai tapis vert. Celui de Berlin tente de faire oublier ses apparats couleur rouge sang (sûrement celui des travailleurs) par quelques manifestations cocasses célébrant les énergies propres et renouvelables. La preuve avec cette photo édifiante sur laquelle Daniel Brühl et Diane Kruger, ou presque, interprètent respectivement un panneau solaire et un pingouin, afin de dénoncer les dangers du réchauffement planétaire.
Cela suffira-t-il à réduire la pollution engendrée par la trentaine de BMW stationnant tous les soirs devant le palais, moteurs allumés, avant de raccompagner à leurs hôtels ou ailleurs les plus privilégiés ? On en doute sérieusement. Ce n'est pas pour rien que la Chine a offert (enfin loué, mais c'est pareil) ses deux meilleurs pandas, Bataille et Fontaine, à la France tout nucléaire et pas à l'Allemagne.
La légende : la Berlinale est tellement conviviale qu'on peut même prendre une cuite pendant une projection.
La réalité : c'est vrai. Les cinémas berlinois réquisitionnés pendant le festival disposent de stands qui vendent friandises, sodas et... bières. D'où ces douces effluves de houblon qui vous titillent la narine pendant les projections, ces érections de culs de bouteilles devant l'écran, ces ronflements d'alcooliques heureux, ces tintements mélodieux quand votre jovial voisin trébuche sur les cadavres laissés au pied de son fauteuil. Cela n'arriverait jamais à Cannes, où une bouteille d'eau introduite dans une salle vaut généralement à son détenteur un séjour à Guantanamo. Et personne ne s'en est jamais plaint. Personne n'en est revenu, faut dire.
Big Bob ? extrait de Harold et Kumar s'évadent de Guantanamo
La légende : les berlinois aiment leur festival et sont conviviaux. Et accueillants. Et souriants. Et gentils.
La réalité : c'est vrai, mais ce n'est pas beau pour autant. La Berlinale est le premier festival de cinéma au monde en termes de places payantes (environ 300 000 chaque année). Contrairement à Venise où la Mostra se déroule sur un Lido à l'écart du gros de la population, et à Cannes où les autochtones doivent généralement à une tombola municipale leur unique sésame, les berlinois ont un véritable accès aux salles, ce qui garantit une audience bigarrée et pas seulement composée de professionnels. On peut donc se faire écraser les pieds et pousser à l'entrée des salles par le tout-venant, plutôt que par Bernard Montiel ou Angelina Jolie, c'est formidable. Et cette convivialité ? Elle touche au ridicule. La clé de notre appartement, par exemple, ouvre également la porte de l'immeuble, et celle du local poubelles commun aux bâtiments alentours. On savait qu'il était possible d'ouvrir mille portes avec une clé. A Berlin, on découvre qu'il est possible d'ouvrir une porte avec mille clés. On se souvient de Michael Moore entrant sans frapper chez des Canadiens peu soucieux de fermer à double tour leur porte d'entrée. Berlin semble faire plus fort : une clé unique pour toute la ville et un taux de chômage record parmi les serruriers. Tout le monde peut coucher n'importe où et avec tout le monde. Ce n'est plus de la convivialité, c'est de la débauche. Que dire enfin de ce métro sans tourniquet ni contrôle, qui s'en remet à la responsabilité et au sens civique des usagers, de cette absence de fouille au corps à l'entrée du palais du festival, de ce sentiment de liberté dans lequel baigne toute la manifestation ? Un vaste pousse-au-crime.
La légende : l'Allemagne a conservé son triple A, pas la France. Les organisateurs de la Berlinale en sont tellement fiers, que les ordinateurs à disposition des journalistes français ont un clavier AAAZERTY.
La réalité : C'est faaaux. Laaa Fraaance aaa récupéré son AAA dès le premier jour de laaa Berlinaaale aaavec les présentaaations d'AAAujourd'hui d'AAAlaaain Gomis, AAA moi seul de Frédéric Videaaau et Les aaadieux ààà laaa reine de Benoît Jaaacquot. Trois titres commençaaant par aaa, trois oeuvres qui ont tellement caaalmé les AAAllemaaands qu'en représaaailles ils ont déserté les conférences de presse des deux premiers AAA cités et peint les acteurs d'Intouchables façon réalisme soviétique est-berlinois.
C'est paaas beaaau d'être maaauvaaais joueurs.
La légende : la Berlinale offre l'occasion aux Berlinois de mettre la misère au monde entier niveau maîtrise des langues étrangères.
La réalité : C'est de moins en moins vrai. Alors qu'avant certains films en anglais n'étaient même pas sous-titrés en allemand, pour bien coller la honte aux non-anglophones, voilà que la langue de Goethe et de Scorpions fait désormais plus systématiquement son apparition en bas de l'écran. Après, les festivaliers allemands peuvent bien continuer à se la jouer Google Translate humains, à vous traduire en français le speech d'un intervenant tchèque, ou à vous indiquer, toujours en français, la pizzeria que vous cherchez, alors que vous ne leur avez rien demandé, nous ne sommes pas dupes. Et de toutes manières, on aurait bien fini par la trouver seuls cette pizzeria.