Game of Thrones : la série dont vous êtes les héros
Si vous demandiez aux fans le nom du véritable héros de Game of Thrones, vous auriez probablement beaucoup de réponses différentes, mais elles seraient toutes fausses. Car les vraies stars du Trône de Fer ne sont pas à Essos ou à Westeros, ni même au nord du Mur, elles sont devant leur télé. Voici l'histoire d'un show porté à bout de bras par son public...
À une époque où il n’est pas rare d’engloutir en un week-end, et en solitaire, toute une saison d’House of Cards, il est tentant de considérer que le binge watching soit devenu la nouvelle norme de consommation des séries TV. Mais ce serait faire abstraction d’un phénomène qui ne cesse de croître depuis quatre ans, d’une série qui s’est libérée de ses chaînes cathodiques depuis bien longtemps pour s’installer dans notre confortable réalité où, dieu soit loué, les Marcheurs Blancs n’existent pas.
Game of Thrones ne se regarde pas d'une traite, c’est un périple hebdomadaire qu'on fait à plusieurs. D'une manière assez inédite, la fiction s'enrichit ainsi considérablement de l'expérience sociale qui en découle. La télévision renoue alors avec le concept de rendez-vous populaire qui trouve une importante résonance sur le web. Le phénomène n’est certes pas tout à fait nouveau (4 8 15 16 23 42, ça vous dit quelque chose ?), mais il atteint ici une toute autre dimension.
Aux côtés des Targaryen, Baratheon et autres dynasties en lutte pour le Trône de Fer, se tiennent les spectateurs ; et à la question du récent bac de philo «L’artiste est-il maître de son oeuvre ?», les fans de Game of Thrones, GoT pour les intimes, répondent «non» à l’unisson, parce que sans vous, la série ne serait pas ce qu’elle est.
La nouvelle messe
De mémoire de sériephage, on n'avait encore jamais vu cela : pour cette quatrième saison, HBO a organisé des projections en salle du premier épisode. Si seuls quelques milliers de privilégiés ont pu assister aux avant-premières, de nombreuses diffusions publiques de la série ont eu lieu dans des bars tout au long de la saison. On va désormais voir, pinte à la main et entre amis, le dernier épisode de GoT. Alors qu'en 2014 le phénomène de délinéarisation de la télévision est à peu près achevé (il est maintenant possible de voir quasiment ce qu'on veut quand on veut), il est très surprenant de trouver une série qui amène ses spectateurs à se réunir au même moment, le même jour de la semaine devant l’écran.
Un jeu de patience
Le challenge était de taille : adapter une saga littéraire débutée en 1996, au rythme de parution lent, au nombre de protagonistes et d'arcs narratifs qui ne cessent de croître, et à l’univers Heroic-Fantasy qui nécessite un budget conséquent pour ne pas tomber dans le cheap.
La série est le fruit d’une étroite collaboration avec G.R.R. Martin, ce qui permet une cohérence indispensable entre la série et le matériau original.
Le découpage suit un schéma narratif bien précis, que l’on retrouve à chaque saison : évènement majeur en début de saison qui pose l’intrigue, cliffhanger plus ou moins marqué à chaque fin d’épisode, climax à l’épisode 9, final qui conclut la saison en indiquant la direction future des différents personnages.
Ces cliffhangers récurrents en fin de saison/épisode créent chez le spectateur une sorte de plaisir masochiste : la frustration de l'attente décuple le plaisir futur – sentiment à côté duquel l'on passe totalement si l'on dévore la série en deux jours. Là où des séries comme House of Cards, Oz, Les Soprano ou The Wire résistent bien à un visionnage intensif qui rend d'ailleurs l'experience plus immersive, il faut à l'inverse savoir embrasser l'attente frustrante de Game of Thrones, de The Walking Dead ou encore de Breaking Bad pour pouvoir apprécier ces séries à leur juste valeur.
La peur du spoiler
Mais ce qui pousse en premier lieu les spectateurs à se jeter sur le dernier épisode, c'est sans doute la peur du spoiler. Car s’il y a bien une chose que les fans de Game of Thrones craignent, au-delà de la mort brutale de leur personnage favori, c’est de découvrir malgré eux les évènements du prochain épisode. Or, dès le soir de diffusion, les réseaux sociaux pullulent de réactions plus ou moins explicites qui peuvent à tout moment vous gâcher la surprise. Le lendemain matin, suivent des dizaines d’articles, de parodies, de memes, etc.
À moins de vivre en autarcie, difficile d’y échapper plus de deux jours. Regarder l’épisode devient alors une priorité : même si l’on ne se fait pas spoiler, saisir une bribe d’indiscrétion sur le dernier épisode en date suffit à nous convaincre de le voir au plus vite.
Puis, dans la guerre des spoilers, il y a les autres, ceux qui dominent la plèbe. Des êtres millénaires dont on préfère nier l’existence tant leur passage à l'action pourrait être dévastateur. Je parle bien sûr des lecteurs de la saga. Ces personnes éclairées qui nous observent le sourire en coin lorsque nous nous attachons avec naïveté à tel ou tel nouveau personnage charismatique, et qui prendront un malin plaisir à nous filmer discrètement lors de sa cruelle éviscération (cf. vidéo plus bas). Ces sauvageons possèdent dans leur carquois des dizaines de flèches, et une seule d’entre elles suffirait à vous ruiner la série ; autant dire qu’on ne préfère pas plaisanter avec les lecteurs de A Song of Ice and Fire.
Un sujet de pause café
Jadis (c’est à dire il y a 5-6 ans), chacun regardait sa série à son rythme. Lorsqu’un ami entamait une série que nous avions terminée depuis longtemps, nous attendions sagement qu’il arrive au terme du show pour échanger avec lui. Mais avec Game of Thrones, le rituel n'est pas exactement le même. Une fois l’épisode terminé, on est impatient à l’idée de pouvoir échanger à son sujet. On refait le fil des meilleurs et des pires moments, on partage ses émotions – car c’est bien de cela dont il est question dans GoT. Aussi, ce sont ces échanges omniprésents durant les trois mois de diffusion annuelle qui font vivre la série, qui entretiennent l’engouement autour du show.
Une notion de partage et d’échange qui n’est pas sans rappeler cette époque lointaine où Internet n’existait pas, et où la jeunesse désoeuvrée n'avait d’autre choix que de suivre ensemble les programmes diffusés à la TV. GoT a ainsi pris en quelques années une très bonne place dans le top des discussions à la pause café. Ne pas regarder la série est d'ailleurs presque devenu un facteur d'exclusion.
Quoi qu'il en soit, l'expérience sociale est fondamentale à l’appréciation de la série ; et si nous visionnons religieusement les évènements à Westeros chaque lundi soir, nous prenons au moins autant de plaisir à en parler durant les six jours suivants.
Cet engouement permet à Game of Thrones de franchir le mur de notre écran, et à l’univers de Martins de prendre vie dans notre quotidien. Dernier exemple en date : un employé de facebook a répondu au crowdfunding lancé par Martin pour soutenir la protection des loups : les deux premiers donateurs de 20 000 $ auront chacun un personnage à leur nom dans les livres, qui aura l’immense privilège de mourir de façon atroce. Ce phénomène culturel sans précédent s’explique en grande partie par le fait que la série a su arriver au bon moment, son déroulement s’associant à l'explosion des outils sociaux, Twitter en chef de fil.
Walter, Locke et les autres
GoT n’est cependant pas la première série à vivre bien au-delà des horaires de diffusions. On se souvient du phénomène Lost, série pour laquelle les créateurs ont parfaitement su tirer profit de l’engouement et des spéculations des fans: sites webs donnant des indices entre les saisons, vidéos Dharma inédites sur youtube, wiki participatif entièrement dédié à la série, théories sur les nombreux mystères de la série sur les forums, etc. Autre exemple plus récent, Breaking Bad. On retrouve plusieurs similitudes avec GoT, notamment l’omniprésence des personnages dans les conversations réelles et virtuelles entre la diffusion de deux épisodes. Mais les deux shows, bien qu’ayant connu un grand succès, n’ont pas atteint un tel degré de popularité, l’une pour sa précocité et ses errements scénaristiques, l’autre car moins grand public.
Le graphique ci-dessous (via Google Trends) montre l'évolution des requêtes Google pour ces trois séries particulièrement populaires sur le web :
Mais alors, pourquoi GoT en particulier ? Pourquoi une telle place dans la pop culture ? Et comment expliquer une telle montée en puissance ?
La série blockbuster
L'inceste et les dragons, les orgies et les décapitations, il faut avouer qu'on a vu plus mainstream comme sujet... Mais les showrunners ont su mettre ces éléments au service du charisme des personnages et de leurs interactions, essence même de la série. Et c’est notamment la multitude de personnages complexes qui permet une identification des spectateurs à telle ou telle personnalité, générant ainsi une prise de position personnelle propice aux débats. La série s’est également donnée les moyens de mettre en scène l’univers de Martin, avec un budget moyen de 6 millions de dollars par épisode.
Meme Generator
Fort de cette base de fans grandissante au fil des saisons, GoT jouit de la créativité de ces derniers, qui contribuent à faire vivre la série. Preuves en sont les centaines de memes et autres détournements qui envahissent la toile après chaque diffusion. Aussi, de nombreux éléments du show sont devenus cultes : Daeneris est le symbole de la femme libérée, Jorah Mormont illustre à merveille le principe de la friendzone, ou encore le fameux “you know nothing Jon Snow”. Les références sont tellement nombreuses et symboliques que l’on en trouve dans des articles sur à peu près tous les sujets. Cela concerne aussi bien le sport que d'autres séries, la politique ou encore les jeux vidéo. L’un des derniers exemples en date, cette publicité de l’Organisme officiel chargé de la promotion touristique de l’Irlande en France :
Red Wedding Tears
La meilleure illustration de l’ampleur du phénomène est sans doute incarnée par tout ce qui a suivi la diffusion de l’épisode The Rains of Castamere. La fin de l’épisode, brutale et traumatisante, a engendré un torrent de réactions sur la toile. Un lecteur du livre a d’ailleurs créé un compte twitter spécialement pour l’occasion sur lequel il rassemble les réactions écoeurées de fans de la série face à ce twist, certains allant jusqu’à affirmer (comme dans l'exemple ci-dessus) qu’ils ne regarderont plus jamais la télévision. L'équivalent existe aussi en vidéo. Une compilation des meilleures réactions atteint d'ailleurs les 10 millions de vues (quand on disait que vous étiez les héros) :
L’effet fut plus ou moins similaire cette saison suite à la diffusion de l’épisode 8 et on ne doute pas que des chocs équivalents sont à prévoir pour les années qui viennent. Ces quelques exemples sont révélateurs de cette envergure jusque là jamais atteinte pour un programme télévisé, et on comprend aisément comment cette profusion de références, de réactions autour de GoT engendre de nouveaux adeptes, la popularité du show ne cessant de croitre au fil des saisons.
De toute évidence, l’omniprésence de la série sur la toile constitue à la fois la manifestation et la raison de son succès.
Si vous ne suivez pas encore Game of Thrones, vous avez donc déjà raté de grands moments de pop culture. Mais il est toujours temps de rattraper le train en marche, il vous reste un an avant la reprise pour faire connaissance avec tous ces personnages que vous ne vous lasserez pas de voir mourir.
A mon avis les lecteurs du livres et spectateurs de la série ne constituent pas le même public; ceux que les bouquins intéressaient s'y sont dirigés dès la première saison.
Et puis bon, il en faut du courage pour s'atteler à l'une des plus longues saga littéraires de tous les temps !
A titre de comparaison, Breaking Bad a clairement eu le vent en poupe et les mots "meilleurs série de tous les temps" ont été prononcés à maintes reprises, et pourtant j'ai vu beaucoup moins de gens remettre cette série en cause comparé à GoT. (pour le reste de ton commentaire je suis plutôt d'accord cela dit)
Mais oui, bien évidemment que le rythme visionnage est avant tout influencé par les disponibilités et l'emploi du temps de chacun, mais justement, je trouve que Game of Thrones a un peu changé la donne avec ce côté "rendez-vous" qui revient, et la peur relative du spoiler/d'être largué des discussions.