Toxic Director

Lloyd Kaufman : « il faut remuer la merde »

Rencontre | Par Alexandre Hervaud | Le 14 mai 2012 à 13h01

Rencontre avec le fondateur de Troma, créateur de Toxic Avenger, amateur de poulets zombies pétomanes et défenseur invétéré du cinéma indépendant.

Surf Nazis Must Die, Tromeo & Juliet, Cannibal : The Musical, Toxic Avenger... On oublie trop souvent qu'avant les trailers ou affiches, le premier contact d'un spectateur avec un film se réduit à son titre. Ceux des productions Troma cités plus tôt suintent invariablement le potache, le décalage, l'outrance ou la provoc, et tomber sur eux au hasard d'une lecture adolescente de Mad Movies dans les 90's attisait forcément la curiosité. En découlait une énorme frustration, conséquence inévitable d'une époque où dégoter un film -qui plus est mal ou pas du tout distribué en France- relevait du chemin de croix dans cette ère VHS pré-Amazon et peer-to-peer. Des années plus tard, on a (un peu) rattrapé notre retard Tromatique, fin prêt à rencontrer en mode fanboy le génial Lloyd Kaufman, co-créateur avec Michael Herz en 1974 de Troma, le studio indépendant le plus barré qui soit. On vous laisse découvrir le résultat.

Invité en France par Panic! Cinéma à présenter son jouissif Poultrygeist : Night of the Chicken Dead, et le rigolo Atomic College, Kaufman nous l'a joué façon Woody Allen : on ne parle hélas pas de son rythme de mise en scène (il n'a rien réalisé depuis Poultrygeist en 2006, faute d'avoir trouvé l'inspiration ou le bon script), mais par sa volonté de faire l'interview dans la langue de Jean Rollin. Francophile et francophone, Kaufman parle lentement et s'en excuse : « j'ai pris l'avion aujourd'hui, et pas mal de LSD dans les années 60 ». Son choix des mots est parfois troublant : traduisant au maximum comme le plus forcené des Québécois, il qualifiera à plusieurs reprises les films Troma de « sous-terrain ». Il nous faudra quelques secondes pour comprendre qu'il s'agit bien sûr de films underground. Sa maîtrise de notre langue lui valait la tâche de traduire les Cahiers du Cinéma pour ses camarades de l'université de Yale, à la fin des 60's : « si je n'avais pas lu les Cahiers, aujourd'hui je serais peut-être Michael Bay. Malheureusement j'ai suivi Chabrol, Truffaut, Melville... ».

Décidant de se consacrer pleinement au 7ème art après une séance du To be or not to be de Lubitsch, Lloyd Kauman co-fonde donc la boîte qui offrira au monde un super-héros difforme et purulent, une revisite punk de Shakespeare, un futur post-apocalyptique peuplé de dinosaures, et plein de cannibales, de seins nus et de pets foireux. « Oui, on est les spécialistes du film que personne ne voit et qui ne gagne pas d'argent », confesse en rigolant Lloyd Kaufman, un brin trop modeste sur le coup. De Tarantino à Takashi Miike en passant par Peter Jackson et Alex de la Iglesia, on ne compte plus les cinéastes revendiquant une filiation avec ce sympathique artisan new-yorkais, chantre du DIY qu'il défend à longueur d'interviews, de livres (tel All I Needed To Know About Filmmaking I Learned From The Toxic Avenger) et de masterclass données un peu partout dans le monde. « Il faut encourager les gens à remuer la merde, à changer le monde », déclare celui qui persiffle toujours autant contre les majors hollywoodiennes et « leur » version du cinéma indépendant, « des feel-good movies produits par leurs filiales ».

Peu de temps avant notre rencontre avec celui qui avoue aimer « le mélange de slapstick, d'émotion et d'idées socialistes », Troma lançait officiellement une chaîne YouTube permettant de regarder gratuitement, intégralement et sans géo-restriction certains fleurons de son catalogue : le séminal Toxic Avenger (et ses trois suites), le fabuleux Terror Firmer (une version gore de La Nuit Américaine où Kaufman joue un réalisateur aveugle, tandis que Edouard Baer et Ariel Wizman passent mourir amicalement devant la caméra), et d'autres classiques comme Sgt Kabukiman NYPD ou A Nymphoid Barbarian In Dinosaur Hell !

Pour Kaufman, qui fustige les lois liberticides comme SOPA et la durée minimale actuelle du copyright, il est important de partager avec les fans. « Sans eux, on ne serait pas là » : la formule a beau être cliché au possible, on sent qu'elle est pleinement justifiée ici. Il y a quelques jours encore se tenait, dans le New Jersey, la dernière édition de Tromadance, le festival Troma initialement organisé à Sundance, pendant le festival du même nom jugé trop mainstream et vénal par Troma. 25% du buget de la manifestation a été recueilli via des dons sur Kickstarter (5246 dollars exactement, sur un objectif total de 4000). « Nos fans ne sont pourtant pas riches ! Mais si on leur donne quelque chose, ils pourront toujours nous le rendre, que ce soit en achetant nos films, en étant bénévole sur nos festivals, etc. ». Kaufman est lui-même de nature généreuse : il ne dit jamais non à une petite apparition en guest star dans un film, fût-il un court métrage fauché ou un direct-to-dvd quasi amateur français.


Scène de danse, extrait de Poultrygeist: Night of the Chicken Dead

Certains aficionados ont toutefois fait grise mine, dernièrement, à l'annonce du remake hollywoodien (un budget de 100 millions de dollars est prévu !) de Toxic Avenger. « Ils ont toujours l'original », rétorque Kaufman, avant d'ajouter, pragmatique : « et puisqu'on n'a pas d'argent, sans l'achat des droits du remake, on ne pourrait plus rien faire. Et qui sait, peut-être que le remake sera bon ! Rappelez vous de Dawn of the Dead, écrit par James Gunn ». Le name-dropping n'est pas innocent : Gunn, réalisateur des excellents Horribilis et Super, a en effet démarré sa carrière à Troma, signant le script du fun Tromeo & Juliet. C'est d'ailleurs sur un remake (même s'il préfère parler de « redux ») de Class of Nuk'em High (Atomic College, en VF) que planche actuellement Kaufman, et dont le tournage pourrait commencer dès cet été. « Il y aura un message pro-animaux et des héroïnes lesbiennes ! Au fait, saviez-vous que Poultrygeist était un remake de La Source, d'Ingmar Bergman ? ».

Bonus Track : que les chanceux présents au festival de Cannes soient prévenus : ils n'y croiseront pas Lloyd cet été. L'homme est pourtant un habitué de la Croisette et des happening promos coquins pour faire parler de ces films (cf son documentaire All the love you Cannes), mais le festival est devenu trop froid et inaccessible à ses yeux. Il n'a tout de même pas pu s'empêcher de crâner devant nous avec ses improbables fausses accréditions utilisées par le passé pour s'inscruster à des soirées cannoises :

Merci à Panic Cinéma...

À ne pas rater...
1 commentaire
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -