Rebelle : une anti-princesse vraiment moderne ?
Ho bah chouette alors : le dernier Disney-Pixar-pour-petits-et-grands vient apporter un zest de fraîcheur et de légèreté au coeur d'une saison des blockbusters écrasée par l'esprit sérieux du dernier Batman.
En apparence, cette nouvelle héroïne a tout pour plaire : la crinière rousse, le regard déterminé et l'accent écossais. Puis, à coups de stratégies marketing, on a voulu nous vendre une soi-disant "anti-princesse" : Mérida voudrait passer pour une badass, une vraie. Mais Disney entretient depuis longtemps dans son harem une tripotée de jeunes rebelles (Mulan, Jasmine, Pocahontas, Raiponce...).
Alors, la petite rouquine est-elle à la hauteur ? Et puis, sous ses oripeaux moyenâgeux, est-elle vraiment une jeune fille moderne comme le prétend l'équipe du film ? C'est ce qu'on va voir.
Mérida, nouvelle héroïne des studios Pixar
Mérida, la première princesse des studios Pixar, se prétend donc "rebelle". Manifestement, les promoteurs du film ont bien fait le job ; leurs communiqués de presse sont bien passés. A moins de passer son été sur une île déserte, la formule "anti-princesse" a bien dû arriver jusqu'à vos oreilles. Tous les médias ont repris le terme, et s'y sont donnés à coeur joie pour réduire la nouvelle hégérie Disney à ce concept facile. OK, Mérida manie l'arc mieux que Robin des Bois, elle envoie paître les princes charmants et elle arbore une chevelure incendiaire, mais pas sur que cela suffise à faire d'elle une princesse hors norme, belle et rebelle...
Mérida, Jasmine version 2.0
D'une certaine manière, Mérida réinvente le cliché de la princesse rêveuse en robe de bal. Fini d'attendre l'élu de son coeur, lascivement appuyée au balcon de sa chambre en regardant les étoiles. Mérida n'a besoin de personne, et encore moins d'un homme pour se réaliser. Elle tient donc tête à sa mère qui ne rêve que d'une chose : lui trouver un prétendant digne de son rang.
Chez Disney, on connaissait Jasmine, cette belle brune qui refuse de se marier contre l'avis de son sultan de père. Merida, comme Jasmine, choisiront de fuir un destin en forme de cul de sac. Mais contrairement à toutes les princesses qui se respectent, Mérida ne trouve pas chaussure à son pied. Les histoires d'amour ne sont pas sa tasse de thé et elle a beaucoup mieux à faire que de se faire passer la bague au doigt. Jasmine, certes, ne souhaitait pas non plus se marier, mais elle attendait tout de même son prince charmant en chantant niaisement "ce rêve bleu, je n'y crois pas c'est merveilleuuuux" (chanson reprise en coeur dans les soirées pyjamas de générations entières d'adolescentes boutonneuses, soit dit en passant).
Là réside la modernité du conte des studios Pixar. La preuve qu'un film de princesse n'a pas nécessairement besoin d'une énième histoire d'amour pour tenir la route. Cette évolution avait déjà été amorcée il y a quelques années. Auparavant, une princesse ne pouvait se marier avec l'élu de son coeur que s'il était du même milieu social, comme ce fut le cas pour Jasmine ou même Pocahontas. Désormais, la princesse n'a plus besoin de faire des pieds et des mains pour se marier, tout court. Raiponce pourra ainsi épouser un voleur avec la bénédiction de parents très open-minded. Une évolution qui se veut dans l'air du temps, à une époque où c'est plus si difficile d'être une femme libérée.
Jasmine et Aladdin
S'habiller en homme comme Mulan
Mérida préfère partir en randonnée à dos de cheval, escalader des montagnes et manier l'arc plutôt que de tricoter au coin du feu. Jusqu'ici, tout va bien. La princesse n'est rien d'autre qu'un garçon manqué parmi d'autres. Une avatar de Mulan, en plus soft. Mérida part à la recherche d'une sorcière, mais Mulan, elle, s'en va-t-en guerre, histoire que son papounet ne se fasse pas tuer. Vous avez dit badass la Mérida ? Mulan se la joue Jeanne d'Arc : elle se coupe les cheveux, prend les manières d'un homme, et part en croisade contre les Huns. Pendant ce temps, Mérida se contente d'affronter quelques ridicules feux follets, niveau barbecue de campagne.
Tout comme sa consoeur, la jeune princesse de Rebelle préfère donc organiser des concours de tirs à l'arc dans la forêt. Mais qui dit activité d'hommes dit obligatoirement habits d'hommes. Être une fille n'empêche pas parfois d'aimer faire des trucs de mecs. Et c'est bien là que le bât blesse. Certes, Mérida préfère l'épée à l'aiguille à coudre, mais doit-elle pour autant s'habiller comme une souillon ? Mulan avait déjà amorcé cette tendance un peu caricaturale de la femme qui, voulant s'émanciper, en vient ni plus ni moins à renier sa féminité.
Mulan et Mérida en viennent donc à remettre en question leur condition de femme pour s'émanciper du foyer familial, et prouver ainsi qu'elles peuvent bien se débrouiller toutes seules. Fini le temps où les princesses n'étaient que des potiches en détresse ; elles n'ont plus besoin de personne pour venir à leur rescousse. Mais Merida n'en reste pas moins une princesse ; il lui fallait un atout beauté, quelque chose de sexy pour compléter et pimenter sa panoplie de badass.
Mulan et Mushu
Une Ariel écossaise ?
C'est bien connu, toutes les princesses sont jeunes et jolies. Alors, heu, pourquoi cette crinière agressivement rousse ? Longtemps le roux n'a pas eu la côte : personnage bizarre, un peu bête, ou méchant. C'est l'incarnation du diable sur terre. A la manière d'Anastasia, une des soeurs odieuses de la pauvre Cendrillon, Mérida aurait pu passer pour une vilaine sorcière. Mais aujourd'hui, être roux, c'est sexy et décalé (en témoigne la dernière pub pour le site de rencontre "djeunes" Adopte un Mec).
La petite sirène avait déjà fait les frais de ce choix esthétique en 1989. Ariel marquait sa différence de part, non seulement sa queue de poisson, mais aussi sa couleur de cheveux. Et chez Disney, on aime et encourage cette différence. Les princesses ont toujours ce petit quelque chose qui feront d'elles un être à part. Raiponce a des cheveux de deux mètres (voir plus), Ariel était une sirène. Et quand cela ne touche pas au physique, on soigne les conditions sociales : pauvres, riches, abandonnées...
Dans la famille pas comme les autres de Rebelle, on est écossais (et donc roux), de père en fille. Sauf la mère, brune de nature, qui, là encore, marque sa différence et s'oppose à sa fille. Une stigmatisation un peu simpliste. Parce que l'une est rousse et l'autre brune, il faut nécessairement que cela fasse des étincelles. Il ne suffit pourtant pas d'être roux pour avoir un tempérament de feu...
Ariel et ses amis poissons
Rebelle est une première pour Pixar qui, jusqu'à maintenant, n'avait jamais donné dans le film de princesse, et surtout, n'avait jamais promu un personnage féminin au rang de premier rôle. Louable intention de la part des studios que de chercher à renouveler les éternels films de princesse que Disney a pu produire toutes ces années. Pourtant, même si le film revendique son étiquette Pixar, impossible d'échapper à l'influence de la célèbre souris aux grandes oreilles. Prêtez une oreille attentive aux quelques chansons sirupeuses de la bande originale, vous verrez.
Mais d'un studio à l'autre, la volonté de se démarquer des princesses précédentes est bel et bien là. L'image de la demoiselle en détresse serait-elle désormais démodée ? Ou faut-il y voir une vulgaire stratégie marketing ? Disney l'avait présenté ainsi, suite au désastre de La Princesse et la grenouille. Les films de princesse n'attirent tout simplement pas un public masculin. Raiponce avait ainsi été retravaillé en rajoutant le personnage de Flynch. On sent aussi dans cette nouvelle franchise le besoin d'étendre le coeur de cible d'un genre très féminin (pas pour le box office, hein, juste pour l'amour de l'art, ne soyons pas cyniques).
Toujours est-il qu'une fois de plus, Pixar offre à la vieille maison Disney un ravalement de façade salutaire et plutôt réjouissant. C'est déjà pas mal, non ?
Le concours (vo), extrait de Rebelle
Image © Pixar