Qu'est-ce qui nous fait arrêter une série ?
La relation qui unit un spectateur à une série est unique, mais parfois, la passion se délite. Qu'est-ce qui peut bien nous pousser à abandonner une série que l'on suivait pourtant avec excitation à ses débuts ? Quelles sont ces erreurs qu'un programme ne doit pas commettre s'il espère s'assurer la fidélité des téléspectateurs de saison en saison ? Contrairement à un film, une série joue sur le principe de l'addiction, prenant ainsi le risque de s'essouffler à tout moment. Une série doit donc se renouveler sans cesse, sans perdre pour autant la saveur primitive du show. Un exercice bien périlleux, sur lequel écrire est tout aussi périlleux, alors attention aux spoilers.
Commençons par une évidence : il est particulièrement frustrant de voir une bonne série perdre en qualité. Il faut dire que la tentation est toujours grande pour les auteurs de reproduire pendant six saisons ce qui a cartonné lors des deux premières. Elles sont d'ailleurs nombreuses ces séries qui n’ont pas su s’arrêter à temps, quand la qualité et l'originalité étaient encore là.
Pourquoi ça continue ?!
Prenons l’exemple de Weeds. Au départ, une veuve, Nancy, se met à vendre du cannabis pour subvenir aux besoins de son foyer. Embarquée dans une spirale de plus en plus explosive, son trafic la plonge dans des situations périlleuses, jusqu’à provoquer l’incendie de son quartier à la fin de la troisième saison, ce qui contraint sa famille à déménager. Cette fin aurait été parfaite : un personnage que rien ne destinait à ce choix de vie est dépassée, fait tout péter, ça prend feu et tout repart à zéro ; un épilogue aux airs de nouveau départ. Sauf que cinq saisons viendront ensuite poursuivre les mésaventures de Nancy, dans une nouvelle ville, avec des intrigues pas forcément palpitantes.
Dans le même registre, on pense aussi à Grey’s Anatomy, qui avant de reposer uniquement sur les coucheries entre médecins, tenait les spectateurs en haleines avec des intrigues plus subtiles, comme l’évolution des nouveaux arrivants au sein de l’hôpital, les relations entre internes et externes, les difficultés à s’intégrer au service, etc. La redondance des intrigues exclusivement sentimentales a créé à terme une lassitude chez une partie du public.
Le cas d’How I Met Your Mother n'est lui aussi pas loin d’être désespérant. À ses débuts, le sitcom n’avait pas à rougir de l'évidente comparaison avec Friends, et attirait un nombre de spectateurs croissant. Forts de ce succès, Carter Bays et Craig Thomas, ses créateurs, ont cru à tort que le succès ne reposait que sur Barney Stinson, l'éternel séducteur de la série et vrai réservoir à gags. Une grande partie du potentiel comique de la série repose effectivement sur lui. Sauf qu’à force de l'utiliser à outrance, les ficelles comiques du début sont devenues prévisibles et ringardes. Surtout que la série avait d’autres qualités évidentes, comme sa narration sous forme de flashback, qui lui permettait d'inspirer des procédés narratifs et humoristiques très pertinents. En ne sachant ni s’arrêter à temps, ni se renouveler, How I Met (son nom pour les intimes) est devenue une série moquée, une sorte de running gag permanent, devenant l’un des fers de lance du hate watching (à l’instar de Grey’s Anatomy).
Pour ces oeuvres, comme pour leurs protagonistes, le risque est de durer jusqu'à ce moment où l’on bascule définitivement du côté obscur, ce moment où le téléspectateur réalise que la série est en train d'échouer, ce moment qui porte même un nom : Jumping the shark. L’expression trouve son origine en 1977, dans un épisode de Happy Days où Fonzie fait du ski nautique dans un bassin où nage un requin. A vouloir être trop cool, Fonzie a perdu toute crédibilité pour devenir clairement ridicule. Et beaucoup de séries ont elles aussi «sauté le requin»...
La série qui change de cap
S’il devient nécessaire de faire évoluer un programme pour ne pas perdre de spectateurs en route, l’excès d'innovations peut également être préjudiciable ; le risque étant de perdre ce qui fait l’essence du show. Récemment, Under the Dome illustrait parfaitement ce cas de figure. La série n’a pas respecté ce qui faisait sa nature même : le fantastique. Basée sur un concept plutôt original – sans qu'on sache pourquoi ni comment, un dôme recouvre la petite ville de Chester's Mill, la coupant ainsi du monde extérieur – Under the Dome a malgré tout peiné à développer des intrigues (invasion de chenilles, porcelets malades…) et des personnages forts, accélérant le désintérêt du public. Aux Etats-Unis, si le pilote a réuni 13,5 millions de téléspectateurs et le final de la saison 1 a fait 12.1 millions, la saison 2 a débuté à 9,4 millions, pour chuter à 5,6 millions au bout de cinq épisodes.
Les mauvaises séries n’ont pas le monopole du changement radical de direction. Prenons une création de bonne qualité, et tant qu’à faire une série française : Kaamelott. Si le talent d’écriture, la boulimie de travail, et la maîtrise de son œuvre par Alexandre Astier ne sont plus à prouver, la série a en revanche perdu une partie de son public en se transformant sans cesse. De mini-sketchs de 3 minutes pour la première saison, celle-ci a progressivement grossi, pour aboutir à un livre 6 composé de neuf épisodes de 40 minutes. Plus que le format, c’est le registre même de Kaamelott qui a évolué : partant du pur comique (un Roi Arthur entouré d’une bande de bras cassés incapable de trouver le Graal), Astier a insufflé des tenants dramatiques à son œuvre : la dispute avec Lancelot, la tentative de suicide d’Arthur, le flashback sur la vie romaine qui donne une toute nouvelle complexité aux protagonistes, la dissolution des chevaliers de la table ronde aux airs d’ordre 66... Sans faire de jugement de valeur, il est clair qu’Astier a dû décevoir de nombreux fans de la série en transformant si profondément Kaamelott.
Et si l’on parle de série, de déception et de perte d’audimat, il est impossible de ne pas évoquer Lost. Ses audiences, relativement élevées au cours des trois premières saisons, n’ont ensuite jamais cessé de chuter. Même si la série a gardé une fan base solide (il en faut de la solidité pour s’accrocher aux dizaines d’intrigues développées), de nombreuses personnes ont abandonné l’aventure en cours de route ; le programme ne correspondant plus à ce qu’il était au départ, ou en tout cas à ce que les spectateurs en attendaient, à savoir un survival sur une île. Le décrochage est marqué à partir de l’apparition de flash forwards (qui seraient donc le jump the shark de Lost), et accentué par les voyages dans le temps de la saison 4. En France, l’abandon de la série est encore plus prononcé, avec des audiences qui pour la saison 6 démarrent à 2 millions, pour terminer à un million. Sachant que pour les dix derniers épisodes, la série était diffusée après minuit, tant les spectateurs ne suivaient plus...
Le changement d’acteur ? Mauvaise idée
D’autres raisons beaucoup plus concrètes influent aussi sur le désintérêt du public envers sa série fétiche. Le changement d’un acteur important peut déstabiliser irrémédiablement un show. Prenons un exemple qui tient de la malédiction : Ma sorcière bien aimée, série phare de ABC dans les années 70, a connu des morts et des changements d’acteurs à répétition. Le mari de Samantha, Jean Pierre, interprété par Dick York, a été remplacé par Dick Sargent à cause d’une maladie chronique du dos. Diane Murphy a été remplacée par Erin Murphy pour jouer le rôle de Tabatha, la fille de Samantha. Alice Pearce meurt lors de la deuxième saison… D’autres changements d’acteurs ont émaillé le show, perturbant le bon déroulement de celui-ci. Un exemple beaucoup plus récent démontre aussi que le changement d’acteur n’est pas le meilleur destin qu’une série peut connaître.
Le casting de Skins, par exemple, change à chaque nouvelle saison. Ce concept d'anthologie est à double tranchant : il peut emporter une nouvelle adhésion chaque année, comme perdre son public en chemin. Après deux premières saisons composées de personnages réellement bien écrits et hauts en couleur, les suivantes ont tenté de re-transformer l’essai mais elles ne sont parvenues qu’à se hisser au rang de pâles copies, peinant à retrouver l’authenticité et la fraîcheur des débuts.
En France, Clara Sheller, série française qui ne partait pas si mal, a vu son casting entièrement remanié pour les saisons suivantes. Ainsi Zoé Félix succède à Mélanie Doutey, Patrick Mille à Frédéric Diefenthal. Les belles audiences de la saison 1 n'ont pas été retrouvées pour la saison 2 (qui débarquait en plus trois ans après).
Quand le spectateur peine à faire le deuil d'un personnage
Et quand un acteur disparaît parce que son personnage disparaît ? L'éventualité de devoir donner la mort à un personnage fait trembler d'effroi les producteurs, surtout quand l'intrigue tourne en bonne partie autour de lui. Dallas est un exemple parfait. Patrick Duffy souhaitait quitter la série ? Les auteurs ont fait mourir son personnage, Bobby Ewing, dans un accident de voiture. Résultat aux Etats-Unis : les audiences ont chuté considérablement, on a rappellé Patrick Duffy à la rescousse, et une histoire a été bricolée pour faire croire que tout ça n’était qu’un sombre cauchemar. Toute une saison qui s'avère n'être qu'un rêve : une belle leçon d’enfumage des téléspectateurs...
Dans ce registre, Game of Thrones est un cas spécial qui n’hésite pas à exécuter ses personnages importants et à briser le tabou de la mort du personnage préféré. Les téléspectateurs ont hurlé à plusieurs reprises devant leur écran, mais Game of Thrones maîtrise tellement ses intrigues et sa multitude de personnages, qu’elle peut se permettre quelques meurtres par ci par là sans se mettre en danger, tout en nous amenant à nous poser cette question : qui va mourir cette fois ? Game of Thrones a fait de la mort de ses personnages un ressort fondamental de son suspens.
Un héros se transforme et on ne le suit plus
Parfois, une rupture morale entre le protagoniste et le spectateur peut précipiter la séparation d’avec une série qui démarrait pourtant sous les meilleurs auspices. Dans Les Soprano, quand Tony tue Chris dans l’épisode Heidy & Kennedy (Bon débarras en VF) par exemple. Faire mourir le deuxième personnage principal de façon abrupte - le coup mortel étant en plus porté par le héros - au début d’un épisode, va à l’encontre même de la morale et des codes de la série dramatique. Le code moral que Dexter s’impose, lui, varie progressivement, jusqu’à ce qu’il dépasse ce que le spectateur acceptait : au début, Dexter ne tue que des méchants ayant échappé à la justice, mais au fur et à mesure, il s'en prend à ceux qui entravent simplement ses projets, puis à ceux, totalement intègres, qui le menacent personnellement. Dexter emportait l'adhésion, malgré sa personnalité sociopathe, tant que ses actes étaient justifiés par un semblant d'éthique, aussi contestable soit-elle, à savoir celle d'un homme faisant justice lui-même. Mais Dexter a fini par retrouver sa vraie nature de tueur sans concession, même plus justifiable par une envie de redresser les torts. Et à partir de là, un indiscutable problème moral s'est posé pour le spectateur.
Dans Breaking Bad, Walter White a lui aussi grimpé progressivement les échelons de l’immoralité, jusqu’à ne plus laisser de doute quant à ses intentions lorsqu'il laisse mourir d’overdose la petite amie de Jesse. Il aurait pu aisément la sauver, il ne l'a pas fait et cela marque indubitablement le déviation du personnage vers un chemin dont il ne pourrait jamais revenir. Le basculement vers l'immoral est total, et l'ambiguïté que cultivait le personnage disparait.
Si ce type de moment peut constituer un choc brutal au point de faire lâcher la série à certains, ils sont pour d’autres un élément de richesse du show, susceptibles d'ajouter à la psychologie du personnage, et donc d'enrichir la relation si particulière qui l'unit au téléspectateur : les limites implicites que nous nous fixons sont franchies par le personnage auquel l’on s’est attaché. Finalement, cette transgression morale n'est elle pas ce qui fait, bien souvent, l'essence même de notre addiction à une série ?
1) Essoufflement de l'intrigue (on tourne en rond ou il y a du remplissage et de la dilution)
2) Brusque incohérence, arnaque du spectateur, ficelle trop grosse, truc ingobable.