Prometheus est-il un film moderne ?
En revenant à la science-fiction alors que 19 films le séparent de Blade Runner, et en reprenant des éléments de l'univers d'Alien 33 ans après sa sortie, Sir Ridley Scott prenait un risque. Celui de s'enfermer dans une esthétique et des propos venus tout droit des années 80. Le réalisateur a-t-il su avancer avec son temps et faire de Prometheus un vrai film de 2012 ?
L'histoire du film nous entraîne dans un univers complètement nouveau : des explorateurs ont découvert sur Terre des indices sur l'origine de l'humanité. Cette découverte les mènera sur une planète inconnue après deux ans de voyage. Mais ce qu'ils trouveront là-bas pourrait bien conduire l'humanité à sa perte. Une quête des origines, une humanité fragile, des rapports humains et humains-robots au sein d'un univers qui nous rappelle quelque chose sans jamais nous y ramener complètement font de Prometheus un film complet et non une simple tentative de modernisation d'un univers devenu culte. Ridley Scott développe intelligemment tout un monde, en lien avec ses films de science-fiiction précédents, qui s'inscrit dans une réelle continuité de l'histoire du genre.
Techniques modernes
Comme la science-fiction a évolué en 30 ans ! En 1982 sortait Blade Runner, deuxième et dernier film de SF de Ridley Scott. A l'époque, il était novateur, et il reste aujourd'hui encore un des films cultes du genre. Depuis cette date, des avancées techniques majeures ont été utilisées pour faire évoluer la SF vers plus de réalisme. Citons Jurassic Park et ses images de synthèses qui rendaient les T-rex plus vrais que nature. Le stupéfiant Matrix, avec ses ralentis au coeur de l'action, qui a lui aussi révolutionné le genre à sa sortie en 1999. Et enfin Avatar en 2009, qui a permis au public d'entrevoir ce que la 3D pouvait proposer de plus immersif.
Poursuivi par un monstre, extrait de Avatar
Ridley Scott a également tourné Prometheus en 3D, et l'utilisation qu'il en fait se rapproche de celle de James Cameron dans Avatar. Sans effets violents, elle sert uniquement à créer une perspective qui donne vraiment une sensation d'espace et fait ressentir au spectateur l'immensité de la planète. La qualité des effets spéciaux offre également quelques séquences gores très réussies, sans jamais en faire des tonnes. Car les vieilles (et bonnes habitudes) ont permis à Ridley Scott de ne pas se laisser dépasser par tous ces nouveaux joujous de technologie et par son budget de 130 millions de dollars. Si les effets gores à base de système D du premier Alien étaient plutôt réussis, ils étaient appuyés par des effets de style qui faisaient travailler l'imagination du spectateur. Il en est de même pour Prometheus, mais c'est le suspense cette fois qui est appuyé par des effets plus vrais que nature. La plupart des décors du film ont également été construits, et seules quelques scènes ont été tournées sur fond vert, d'où un réalisme impressionnant.
Passé actualisé
Mais l'assimilation des nouvelles technologies n'est-elle pas illogique, puisque l'histoire de Prometheus se déroule avant Alien ? Surtout puisque le prequel a été tourné plusieurs dizaines d'années après le premier volet de la saga. Le problème est évident dans les Star Wars, mais peut, tant bien que mal, être compensé par l'histoire : les trois premiers épisodes (les plus récents) se déroulent dans un empire au temps de sa splendeur, alors que dans les trois derniers, ce qui reste de l'empire est ravagé par l'influence de Dark Vador et de Dark Sidious.
Première scène, poursuite, extrait de Star Wars : Episode IV - Un nouvel espoir (La Guerre des étoiles)
Néanmoins, la différence de qualité des effets reste frappante, et marque une vraie cassure entre les deux trilogies. Dans Prometheus, c'est la modernité du vaisseau qui saute aux yeux dès sa première apparition, et elle est d'autant plus frappante en comparaison avec le Nostromo. Selon Ridley Scott, cela s'explique par l'utilité des deux vaisseaux, le Nostromo étant un simple vaisseau-cargo, le Prometheus un vaisseau de recherche et d'exploration. Et dans l'ensemble, cette modernité apparente est moins génante dans les films de Scott que dans Star Wars, car Prometheus n'est pas vraiment un prequel d'Alien. Il en reprend certains éléments, il en développe l'ambiance, mais c'est finalement un film à part, détaché de ce qui l'a précédé.
Emancipation
Avec Alien, Ridley Scott a créé une ambiance et un univers qui restera dans chacun des films de la saga : des images sombres, une lumière assez crasseuse, de longs couloirs qui accentuent le suspense. La peur omniprésente dans Alien est due à la suggestion. On ne voit presque rien, mais ?ça? peut surgir de tous les côtés. L'esthétique même du film sert cette tension omniprésente.
Méchante petite bête, extrait de Alien, le huitième passager
Dans Prometheus, l'esthétique est là, on retrouve ces couleurs grises, sombres, poisseuses, ces couloirs labyrinthiques et le danger qui rôde. Malgré tout, la peur n'est pas au rendez-vous. Sans doute parce qu'elle se disperse. Tout peut potentiellement devenir un danger, puisque l'univers dans lequel les personnages évoluent est complètement neuf. Le danger est à l'image du film, à grande échelle. Il ne s'agit donc plus d'une peur viscérale à la Alien, dans lequel un endroit familier devient menaçant. Prometheus ne flirte pas avec l'horreur comme le faisait Alien. On est plutôt ici dans de la science-fiction pure et dure.
Entrée dans le XXI siècle
Blade Runner et Alien se situaient pile dans le courant de la SF de leur époque, tout en faisant preuve d'originalité. Les robots humanoïdes étaient un des grands thèmes du début des années 80 (Terminator en 1984, Robocop en 1987) et les extraterrestres étaient souvent agressifs envers la race humaine (L'invasion des profanateurs en 1979, The Thing en 1982). Ces deux derniers films, comme Alien et son huitième passager, exploitent d'ailleurs le corps humain, utilisé et corrompu par une chose étrangère qui l'attaque de l'intérieur. Les USA venaient de subir la défaite au Viet-Nam, et la guerre froide n'était pas terminée. Les soldats étaient de retour, ravagés par cette guerre qu'avait voulue leur pays et qu'ils avaient perdue. Cette Amérique atteinte à travers sa jeunesse, dont la toute puissance et les idéaux étaient mis à mal jusque sur son sol se retrouve dans les films de l'époque. Le danger est à l'intérieur, il ronge les corps comme il ronge le pays, et peut tout détruire.
Ce qu'un ventre peut contenir, extrait de The Thing
Dans les années 90, les extraterrestres au cinéma deviennent moins sérieux, avec des films comme Men In Black en 1997 ou Mars Attacks ! en 1996. Et enfin, dans les années 2000, c'est la fin du monde qui monopolise le genre de la science-fiction (La Guerre des Mondes, 2012), souvent rattachée à l'idée de responsabilité du genre humain quant à son propre sort. La SF est également utilisée pour dénoncer certains aspects de la société : l'apartheid dans District 9, l'immigration mexicaine dans Monsters.
La saga Alien a traversé toutes ces périodes en conservant son originalité grâce au mélange de science-fiction et d'horreur, et à un monstre au design d'anthologie. Avec Prometheus, Ridley Scott rejoint la vague actuelle de la SF, en faisant un bond par dessus ces 30 dernières années.
Sujets universels
Chez Ridley Scott, l'origine du monde rejoint sa fin, le réalisateur ancrant ainsi son film dans la SF moderne, tout en l'élevant au rang de certains grands films qui s'attaquent à des sujets intemporels et universels. Deux grands films de science-fiction ont abordé la création de l'humanité avant Prometheus. Tout d'abord 2001, L'Odyssée de l'espace, qui commence à l'aube de l'humanité, et se termine en fermant une boucle, en plein coeur de l'espace et de la vie. Plus récemment, il y a eu Prédictions, qui joue sur l'idée d'une force supérieure qui veille sur les hommes. Certains plans du début de Prometheus font également écho à The Tree of Life et à ses images de la Terre des origines.
L'Univers, extrait de The Tree of Life
Pour toucher à des sujets intemporels, la science-fiction détourne souvent les mythes ou les légendes pour construire ses histoires. Matrix, dont le nombre de références s'étend de la Bible à Alice au pays des merveilles, en est le meilleur exemple. Prometheus reprend ouvertement la légende de Prométhée, le Titan qui a créé l'humanité et qui a désobéi aux dieux pour la servir. L'équipage du film est à la recherche de son « Prométhée moderne », du titre du roman Frankenstein, ou le Prométhée moderne, de Mary Shelley. On peut également rapprocher l'histoire du mythe d'Icare, qui s'est brulé les ailes à trop vouloir s'approcher du soleil. Car il n'est pas toujours bon de vouloir connaître son créateur.
Prometheus se place dans la lignée de ces films qui n'ont pas peur de s'attaquer à de grands thèmes, sans grandiloquence et en offrant du grand spectacle. Le film de Ridley Scott n'est d'ailleurs pas fermé sur lui-même, en huis clos comme Alien : il s'ouvre vers l'extérieur, vers l'espace, et peut-être également vers une suite... Maintenant que Sir Ridley Scott s'est replongé dans la science-fiction, espérons qu'il ne mettra pas à nouveau 30 ans à s'y remettre.
À voir : notre rencontre à Paris avec l'équipe de Prometheus
Images : © Twentieth Century Fox, © Metropolitan FilmExport
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Wed23 juillet 2012 Voir la discussion...