Tahar Rahim revient comme un prince
Deux ans après Un Prophète, Tahar Rahim fait son grand come-back avec deux films à l'affiche : Love and Bruises de Lou Ye, et Or Noir (pour découvrir le making of, cliquez ici). Nous l'avons rencontré accompagné de son nouveau mentor, Jean-Jacques Annaud.
César du meilleur espoir masculin : check. César du meilleur acteur masculin : check.
Comment poursuivre une carrière, quels choix effectuer quand on commence avec les deux récompenses que certains mettent toute leur vie à espérer ou à regretter ? Certains ne manqueront pas de faire remarquer qu'il lui reste encore l'Oscar et le prix d'interprétation à Cannes pour compléter la collection, c'est vrai. Au fond, c'est comme s'il avait gagné le championnat de France en finissant meilleur buteur, comme si un Zizou pas encore chauve venait tout juste de quitter Bordeaux pour la Juve : bref, le début d'une légende qui ne demande qu'à continuer à s'écrire.
Pour la reconnaissance internationale et le panthéon de l'histoire du cinéma, Tahar a encore le temps, c'est vrai. Mais le monsieur a l'air pressé. Il jouait, rappelons-le, son propre rôle d'étudiant il y a bientôt 6 ans. Autant dire une éternité pour un mec à l'ascension aussi fulgurante. Il est temps pour lui de passer senior puisqu'il a décidé de griller toutes les étapes.
Après Les Hommes libres passé un peu inaperçu, il tient les rôles principaux de Love and Bruises d'un côté, un petit film d'auteur tourné en France par Lou Ye, cinéaste chinois interdit d'exercer dans son pays ; et de l'autre Or Noir, pompeuse fresque historique tournée au Moyen-Orient par un Français.
Love and Bruises : Tahar intime
Dans Love & Bruises Tahar incarne de manière très charnelle l'homme, le vrai, dominant et ombrageux, sauf qu'il fait un peu plus l'amour en prenant un peu moins de bleus que dans Un Prophète. Sans ambition professionnelle ni criminelle, le jeune Mathieu est issu d'un milieu populaire (les mines du nord de la France). Il se contente de travailler sur les marchés et de vivre un amour fougueux avec une étudiante chinoise. Bref, encore un type pas prêt à se laisser marcher sur les pieds dans un univers de machos magouilleurs (Jalil Lespert, inquiétant en petite frappe agressive) et de bosseurs pas très bavards (Vincent Rottiers, égal à lui-même).
Tahar Rahim se réapproprie, avec toute l'intensité dont on le sait capable, les codes d'une virilité franchement assumée et un peu brutale sur les bords. Lou Ye, comme dans la plupart de ses films, s'intéresse avant tout à l'intime, aux sentiments et surtout au sexe. Pour ses héros, l'amour, c'est d'abord « faire l'amour », au risque de devenir quasiment dépendant du corps de l'autre. Devant sa caméra, Tahar Rahim est avant tout un corps, une présence féline, prédatrice et rugueuse. Les mots viennent donc après l'amour ou ne viennent pas du tout.
Lou Ye, c'est l'anti-Rohmer absolu (l'anti-Hong Sang-Soo, si on veut rester en Asie). Pas d'humour, pas de psychologie, pas de marivaudage grivois. La caméra portée vibre au premier degré et imprime au plus près des corps les pulsions des personnages. Elle prend le parti pris de la sensation pure qui excite un moment mais finit immanquablement par lasser le spectateur à mesure que se délite la relation du couple à l'écran. Forcément, après l'amour, la chair semble triste.
Or Noir : Tahar romanesque
Fini de jouir, dans Or noir, le prince Tahar fait plus la guerre que l'amour, à l'exception d'une scène, le soir du mariage avec sa délicieuse épouse (Freida Pinto : look de danseuse orientale, une fois délestée de sa burqa), mais cela reste très chaste et studieux. A vrai dire, la séquence n'aura pas besoin d'être censurée pour que le film passe sans problème dans les pays les plus charia-friendly. L'intrigue se déroule par ailleurs dans cet Orient fantasmé et archaïque des années 30, au début de l'exploitation pétrolière par des texans opportunistes.
Et Tahar dans cette histoire ? Quand on lui demande s'il n'aurait pas préféré que le film soit tourné en arabe plutôt qu'en anglais, il répond : « c'était un vrai défi pour moi de s'exprimer dans cette langue. (?) En arabe, ça aurait été plus dur, beaucoup plus dur je pense ». Annaud précise du reste que Tahar au moment de leur rencontre parlait « nettement mieux l'anglais que l'arabe ». On peut néanmoins regretter ce choix. La coexistence de différents dialectes aurait pu être un enjeu fort du film pour traduire la complexité géopolitique de la région. Mais cet aspect a été évacué pour ne pas ruiner le potentiel commercial de cette fable exotique. Annaud déclare avoir voulu « faire un film respectueux et fédérateur ». On serait tenté de préciser : surtout fédérateur.
Sur le tournage, Tahar semble s'être beaucoup amusé. Les costumes, les scènes de combat, les décors gigantesques? Le plaisir enfantin du jeu d'acteur au sens propre reste un vecteur essentiel de motivation. Un plaisir évidemment partagé par Jean-Jacques Annaud. Mais les paysages incroyables l'ont également conduit à s'interroger sur la fragilité de sa condition. Au milieu du désert, Tahar Rahim n'est plus une star : « Je me rappelais que j'étais une petite chose d'1m74 (?) T'es là au milieu de deux forces, le ciel et le désert ; t'as perdu » lance-t-il.
Comme chez Audiard, il incarne donc un jeune homme introverti et fragile qui finit par assumer sa vocation de « prophète », qui apprend à faire le loup et le renard pour arriver au sommet de la pyramide du pouvoir. En plus de deux heures sous un soleil écrasant, il rassemble les tribus nomades du désert qui ont avantageusement remplacé les communautés mafieuses de la prison d'Audiard. Mais si le personnage de Tahar suit « la même trajectoire » que celui d'Un Prophète, « c'est des pentes différentes », nuance-t-il, « c'est un intellectuel qui va devenir sauvage, alors que Malik était l'inverse ». Le prince d'Or Noir est en effet un homme cultivé et pacifiste converti à l'art de la guerre par la force des choses. Portant, au début du film, de petites lunettes d'intellectuel, il fait un admirable enfant sage et innocent, se transformant au fil du film, insensiblement, en chef barbu qui en impose autant par sa stature, sa manière de se tenir, que par son intelligence stratégique. L'évolution est frappante. Tout de blanc vêtu, très élégant la mèche au vent et tout dans l'introspection, il a de beaux arguments à faire valoir aux spectatrices les plus rétives à son charme de voyou.
Et maintenant on va où ?
Pour aller grappiller un prix à Cannes voire un Oscar comme Jean Dujardin, il va lui falloir trouver autre chose. Tout le monde l'encourage à tenter l'aventure américaine, comme s'il s'agissait du seul et unique Eldorado pour tout acteur qui se respecte, mais lui ne compte pas suivre aveuglément les étoiles de l'american dream : après tout, « il y a tellement de belles choses qui se font dans le monde ». On ne peut pas lui donner tort. Certains continuent pourtant à voir en lui notre Pacino national. Il pourrait effectivement se trouver un jour un grand rôle de bad boy gouailleur, gentleman viril et un peu flambeur, dans un film d'auteur à gros budget (Michael Mann ou David Fincher, tant qu'à faire ?). Ca paraît un peu ambitieux comme ça, mais même Mathieu Amalric a joué un méchant pour Spielberg (dans Munich). De même, si on jette un oeil aux prochaines grosses sorties, on remarque que Vincent Cassel sera à l'affiche d'A Dangerous method de Cronenberg (pas tout à fait un film américain, mais bon). Après sa performance remarquée dans Black Swan, on dirait que Cassel s'en sort décidément pas mal chez les nababs d'Hollywood. Bref, plus que jamais : impossible n'est pas français.
Autre modèle possible, plus franco-centré : Romain Duris, un autre acteur transcendé par l'oeil d'Audiard, tiens. La comédie sentimentale à la mode de L'Arnacoeur pourrait être une option pour continuer sa route sur les sentiers de la gloire. « J'aimerais vraiment jouer un personnage haut en couleurs, mais qui soit crédible » affirme-t-il. Tahar joue toujours en gardant à l'esprit que « le silence est d'or au cinéma », mais dans Love and Bruises il esquisse de vrais talents de séducteur ténébreux, armé de son grand sourire et de ses petits yeux plissés. Alors, gageons qu'on le retrouvera dans un ou deux grands rôles populaires avant de repartir conquérir le monde. Si vous vous sentez l'âme d'un manager, n'hésitez pas à partager vos conseils, on fera passer.
Images : © Warner Bros. France / Wild Bunch / UGC Distribution
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manzelo23 novembre 2011 Voir la discussion...
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RaphaelClair24 novembre 2011 Voir la discussion...