Target : et si les comédies romantiques étaient des films d'action déguisés ?
Target est-il un film d'action maquillé en comédie romantique, ou une comédie romantique burnée en film d'action ? Après tout, au fond, c'est peut-être la même chose...
Courage Tom, on va dire que c'est pas la taille qui compte...
Pulsions primales et hypocrisie
Cette grande poétesse des années 80 qu'est Pat Benatar a dit deux choses très vraies : « We Live for Love » et « Love Is a Battlefield ». Elle avait bien raison, et ces deux réflexions concomitantes ne peuvent que nous amener à la conclusion logique que nous vivons sur un champ de bataille. D'ailleurs, cet éminent et rigoureux scientifique qu'est Bernard Werber ne décrivait-il pas dans son fameux ouvrage Le Père de nos pères une scène dans laquelle nos lointains ancêtres simiesques se battaient littéralement à coups de verges pour avoir le droit d'honorer en premier une femelle convoitée par les deux à la fois ? Depuis la nuit des temps, les relations amoureuses sont avant tout une histoire de violence et de combats, non seulement entre prétendants, mais aussi même parfois entre membres d'un couple.
McG, avec toute la sensibilité pop qui le caractérise a bien compris cette triviale logique, et l'a faite sienne dans Target, qui n'est finalement rien de plus qu'une adaptation de ces bonnes vieilles pratiques médiévales consistant à jouter pour une donzelle nous ayant tapé dans l'oeil. Mais même s'ils n'en viennent pas toujours aux mains, aux épées, aux flingues ou aux bazookas, il est bien connu que les mecs sont une bande de chiens enragés, et que la simple vision du décolleté de Christina Hendricks est capable d'annuler chez eux des années d'éducation à la civilisation et les heures passées à lire GQ pour savoir comment être un gentleman du monde moderne. On s'égare, mais la poitrine de Christina c'est surtout beaucoup d'amour et là où il y a de l'amour, il y a toujours un action hero qui traîne...
Ici, Tom Hardy prouve à sa proie qu'il est bel et bien un prédateur :
Démonstration de force au paint-ball, extrait de Target
L'art subtil et ancestral de la métaphore
La vérité, c'est que cette posture de cinéma à mi-chemin entre la rom-com et le film d'action n'est rien d'autre que la mise en image explicite des conflits permanents qui tiraillent tous les amants du monde. Dans Target comme dans Scott Pilgrim, on est dans l'explicitation funky d'une métaphore de la vie courante? Et après tout, même dans Bridget Jones, Hugh Grant et Colin Firth ne finissent-ils pas pas eux-mêmes par se battre ? Voilà le topo : Target/Bridget, même combat. On pourrait tout aussi bien épiloguer sur le nihilisme désespéré des lunes de miel dans Tueurs-Nés, la difficulté de renouer avec son ex dans Le Chasseur de primes, ou encore le rude travail de séduction menant au premier rapport sexuel dans Les Exécuteurs de Shaolin.
Une scène des Exécuteurs de Shaolin est d'ailleurs particulièrement géniale dans sa mise en images exagérée du cirque des parades amoureuses. On y voit Hung Hsi-kuan, fougueux artiste martial, se débattre avec sa nouvelle femme lors de sa nuit de noces : celle-ci est une experte de la boxe de la grue blanche, dont une des techniques lui permet notamment de garder les jambes serrées avec une force telle que rien ni personne ne peut la forcer à les écarter. Pour pouvoir consommer sa fraîche épouse, ce cher Hsi-kuan va donc devoir user de toute l'étendue de ses compétences martiales, non pas pour violer la jeune fille (elle est joueuse mais consentante), mais simplement pour prouver qu'il est digne de sa virginité? Là où, dans une romcom, on offre des fleurs, on renie sa famille ou on sacrifie son travail et ses idéaux (et où, dans un teen-movie, on utilise de l'alcool).
Pour avoir une relation saine avec une jeune fille, il faut savoir lui faire oublier ses exes. La leçon apprise par Scott n'est finalement pas aussi extravagante que le look du film :
7 Evil Exes, extrait de Scott Pilgrim
La porte ouverte à toutes les fenêtres
Dans Target, néanmoins, il reste probablement toujours un certain sens du ciblage économique (on parle d'une sortie Fox là, quand même). Dans le très bon ouvrage Mainstream, Frédéric Martel explique que, statistiquement, si les filles accompagnent volontiers les mecs pour aller voir des films d'action, les mâles sont bien plus réticents à laisser parler leur côté fleur bleue pour suivre leurs proies dans une salle projetant une comédie romantique. Ce qui est stupide, étant donné que c'est bien le meilleur endroit possible pour parvenir machiavéliquement à ses fins, comme certains l'ont probablement bien compris. Grosso modo, Target offre Pine aux filles et Whitherspoon (peut-être trop "charmante" et pas assez "bonne" d'ailleurs) aux garçons, de l'amour et de la baston, et tente de jouer le consensus et de réduire les goûts du public à une simple équation mathématique.
Ceci étant dit, avec le succès de Mr & Mrs. Smith, qui reste encore une grosse référence du film de relations amoureuses explicitement conflictuelles, on voit mal comment ces braves producteurs auraient pu résister à la tentation. Reste néanmoins que tous ces films ne pourraient être en fait rien d'autre que des comédies romantiques travesties visant à être "acceptables" pour des jeunes mâles soucieux de leur image. Bromance autant que romance, Target inverse les rapports hiérarchiques habituellement en vigueurs dans les films d'action entre les intrigues de terroristes et les sous-intrigues romantiques et, en ce sens, pourrait presque passer pour révolutionnaire. Ca serait compter sans l'inanité et la vulgarité de la chose, qui sombre dans la banalité et le manque de style d'un côté comme de l'autre. Pourtant, entre opportunisme et réflexion philosophique de comptoir sur les relations amoureuses, cette porte ouverte dans laquelle aucun réalisateur talentueux ne s'est jusque-là engagé recèle certainement bien des merveilles.
Si un couple survit à ses disputes et à sa crise de routine, il en ressort plus fort et plus uni. Les flingues sont comme la cuillère : ils n'existent pas.
Mr and Mrs Smith Final Fight, extrait de Mr. & Mrs. Smith
Image : ©20th Century Fox