The Lost Boys de Joel Schumacher, Avant Buffy, il y avait…
L'idée d'associer vampirisme et teen-movies est tellement usée jusqu'à la corde aujourd'hui (Hello Buffy ? Hello Edward Cullen ?) qu'il est difficile de mettre en perspective le fait que, en 1987, le vampirisme avait essentiellement les traits de Bela Lugosi ou de Christopher Lee. Le tour de force de The Lost Boys (outre le fait d'être plutôt réussi pour un film de Joel Schumacher), c'est d'avoir contribué à dépoussiérer le mythe vampirique, mais également à l'installer comme représentation de l'adolescence, de ses dangers et de ses transgressions. Le sous-titre est assez révélateur de ce programme : « Tu dors toute la journée, tu fais la fête toute la nuit, tu vieillis jamais, tu meurs jamais. C'est drôle, d'être un vampire. » (« Sleep all day. Party all night. Never grow old. Never die. It's fun to be a vampire. »).
The Lost Boys raconte l'histoire des frères Emerson, qui s'installent avec leur mère à Santa Carla, en Californie, une commune fictive calquée sur Santa Cruz. Le film chronique le sentiment d'étrangeté dans une ville nouvelle quand on a 14-18 ans, et le côté menaçant et agressifs des relations sociales. C'est l'histoire de la difficulté des frères Emerson à s'intégrer dans leur nouvel environnement, difficultés sérieusement accrues par le fait que la moitié des loubards du coin sont des vampires, menés par le charismatique et néanmoins peroxydé David (Kiefer Sutherland - nostalgiques de 24, attention à vos yeux).
Alors que l'aîné, Michael (Jason Patric), se laisse prendre par le gang de David, et devient graduellement un vampire, son jeune frère, Sam (Corey Haim), avec l'aide des frères Frog (Corey Feldman & Jamison Newlander), monte un genre de Scooby-gang avant l'heure et, grâce à la science des comic-books, découvre comment affronter et éliminer les vampires de Santa Carla, dans l'espoir de sauver son frère d'une mort et d'une damnation certaines.
(Scène additionnelle ; c'est la seule qui permette de voir les deux Coreys en action)
The Lost Boys est une pierre angulaire de la culture populaire américaine. Déjà c'est, pour la gloire, le premier film qui réunit les deux Corey (Corey Haim et Corey Feldman), deux figures emblématiques de la jeunesse américaine des années 80. Ayant connu un succès phénoménal et des suites jusqu'à récemment, en plus d'une série de comics dédiée au Frog brothers, ce film est un peu l'ancêtre de Buffy, voire de Twilight dans le sous-genre du vampirisme adolescent.
Dans cette mesure, le titre anglais du film est révélateur du projet initial et de son évolution vers un teen-movie. En effet, les « lost boys », ce sont les « enfants perdus ». Qui sont les enfants perdus ? me demanderez-vous, si vous n'avez pas eu d'enfance heureuse. Les enfants perdus, ce sont les acolytes de Peter Pan, dans l'oeuvre de J.M. Barrie, ceux qui ont fui la réalité pour ne jamais grandir, en s'installant dans cette contrée parallèle qu'est le « Pays Imaginaire », Neverland en anglais. Bâti par Richard Donner et sa femme, le projet se voulait initialement une actualisation un brin horrifique de l'histoire de Peter Pan. Après tout, c'est bien louche, cette histoire de ne pas pouvoir vieillir : à moins d'être un vampire, comment est-ce bien possible ? Ainsi, David aurait dû s'appeler Peter, les frères Emerson auraient dû s'appeler Michael et George (comme les jeunes frères de Wendy) et leur mère (Dianne Wiest) aurait elle-même dû s'appeler Wendy. Au-delà de l'onomastique, ce film avait été conçu pour être dans la lignée des Goonies, en quelque sorte (eh, mais y a Bagout dans le casting !) : les héros auraient dû avoir 10-12 ans, plutôt que les 15-18 ans qu'ils affichent dans le film.
Entre temps, Richard Donner, pris par d'autres projets, l'a cédé à Joel Schumacher, un homme qui a « coming-of-age movie » marqué au fer rouge sur le front depuis St. Elmo's Fire, et dont la passion pour le cuir, les scènes sexy-cheap et les jeunes hommes n'est plus à démontrer. Il imposa la charte graphique si particulière qui fait The Lost Boys, en insistant pour que ce qui était un film d'aventure pour enfants devienne un teen-movie un peu sulfureux.
Un concert qui a l'air trop cool extrait de Génération perdue
Ceci expliquant cela, le look très punk SM des vampires rend compte de cette volonté de créer une identité vampirique en adéquation avec l'idée d'une adolescence marginale. On peut reprocher à ce film d'être kitsch et d'avoir mal vieilli. Kiefer a des faux airs de Billy Idol et ses copains vampires rappellent Jon Bon Jovi et Richie Sambora, mais leurs tenues de cuir et leurs cheveux longs donnent une réelle identité visuelle au film. Au passage, la scène d'ouverture lors de la fête foraine est visuellement assez canon. Après, il n'est pas impossible que le succès indéniable de The Lost Boys soit plus ou moins directement responsable du double drame Batman Forever/Batman & Robin, en termes de parti-pris visuel, mais c'est une toute autre histoire?
Ce parti-pris esthétique signale clairement l'idée selon laquelle vampirisme et adolescence ont un lien évident. Le vampirisme étant de plus en plus marqué par une forte connotation sexuelle, qui pouvait le mieux incarner ces pulsions sexuelles incontrôlables que des adolescents ? Il s'ensuit que Michael est attiré dans l'antre des vampires par Star (Jami Gertz), une jeune fille qu'on peu pudiquement qualifier de « bonne », et son rite initiatique ressemble à s'y méprendre à un jeu à boire dans un squat vaguement illégal. Sexe, alcool, transgression : finalement, le vampirisme a tout d'une vraie grosse crise d'adolescence un peu extrême.
Les jeunes ont vraiment des loisirs de con. extrait de Génération perdue
A l'inverse, son plus jeune frère, Sam, celui qui n'a pas encore tout à fait passé le cap de la puberté, n'est pas sans rappeler Mikey Walsh des Goonies. Il garde une certaine pureté enfantine (normal, venant de Corey Haim), et c'est finalement ce qui le protège du vampirisme : ce qui le séduit, ce n'est pas la jolie fille, mais l'opportunité de démarrer une nouvelle série de comic-books et de se faire des copains au centre commercial ; il n'est pas encore tout à fait entré dans les affres de l'adolescence et c'est là que se situe le meilleur rempart contre le vampirisme, d'une certaine manière.
Éveil sexuel, transgression, jardin secret. Avec The Lost Boys, le vampirisme s'impose comme un moyen de tenir des discours sur le sentiment de marginalité propre à l'adolescence, phénomène qui, comme on le sait, a connu un succès certain. Joss Whedon, pour redorer le blason d'une idée de génie qui avait malgré lui donné lieu à un four innommable (Buffy, Tueuse de vampires, avec Kristy Swanson et Luke Perry), reprend cette esthétique et ce rapport à l'adolescence pour Buffy, qui devient une série culte. Stephenie Meyer connecte à sa manière premiers émois sexuels, surnaturel et transgression dans Twilight, le vampirisme, en plus d'être l'incarnation d'une adolescence néo-goth ou marginale, devient mainstream and the rest, as they say, is history.
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musashi197031 mars 2012 Voir la discussion...
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Sleeper22 février 2016 Voir la discussion...