Tyrannosaur : Les Britanniques sont-ils encore les spécialistes du cinéma social ?
La sortie ce mercredi du film Tyrannosaur, du réalisateur anglais Paddy Considine, nous prouve une nouvelle fois que le cinéma d'outre-Manche reste supérieur lorsqu'il s'attaque aux sujets de société. Les réalisateurs britanniques sont bel et bien les meilleurs pour traiter de la manière la plus réaliste possible les problèmes sociaux de ces dernières années. Un monopole qui ne devrait pourtant plus continuer très longtemps avec la forte concurrence arrivant de leurs pays voisins.
« On peut se demander s'il n'y a pas incompatibilité entre le mot cinéma et le mot Angleterre. C'est probablement excessif, mais je pense à des caractéristiques nationales qui me semblent anticinématographiques - par exemple la vie paisible anglaise, la routine sociale, la campagne anglaise, et même le climat anglais. Le fameux humour anglais, qui a suscité tant de charmantes comédies de meurtres, bien souvent interdit l'émotion réelle... », s'interroge François Truffaut face à Alfred Hitchcock dans son ouvrage Hitchcock by Truffaut. Le cinéma social britannique a pourtant, depuis quelques années, su prouver le contraire sans pour autant verser dans le sensationnalisme. Le réalisateur anglais Paddy Considine (d'abord acteur dans Hot Fuzz et Submarine) qui signe un premier long-métrage très réussi sur un sujet peu développé, la violence conjugale, en est l'exemple même. Au vu des quelques films réalisés sur ce thème, on peut une nouvelle fois se demander pourquoi et comment les réalisateurs anglais réussissent-ils si bien le film social ? Et s'ils avaient justement réussi à tirer parti de ces éléments « anti-spectaculaires » pour livrer un cinéma plus proche de la réalité sociale actuelle ?
Des sujets peu traités
Parler du cinéma britannique revient souvent à parler d'un genre en particulier, celui du cinéma social. Un genre attribué jusqu'à aujourd'hui principalement aux réalisateurs d'outre-Manche qui ont su, avant les autres, proposer des sujets peu traités et en adéquation avec l'actualité politique, économique ; tout simplement en accord avec la société actuelle. La condition ouvrière dans Billy Elliot (Stephen Daldry), les relations entre communautés dans Just a kiss ou encore la main d'oeuvre étrangère dans It's a free world (Ken Loach) sont autant de sujets qui ont marqué le public lors de leurs sorties en salles respectives. Paddy Considine, en digne héritier de ces derniers, signe un premier long-métrage sur un autre sujet difficile, celui de la violence conjugale. Un thème qui, même s'il a encore été peu traité au cinéma, est ici parfaitement approché. Tyrannosaur raconte l'histoire d'une rencontre entre un homme et une femme : Joseph, en proie à de violents tourments depuis la disparition de sa femme, et Hannah, travaillant pour une oeuvre de charité chrétienne. Très croyante, cette dernière va tenter de réconforter cet être sauvage. Pourtant, cachée derrière cette bonté, la jeune femme a elle aussi des démons à affronter. Des problèmes qui affecteront très rapidement Joseph et que les deux nouveaux amis (d'infortune) tenteront de résoudre ensemble. L'alcoolisme, la violence conjugale, la maladie et le deuil sont autant de sujets concomitants que le réalisateur britannique a décidé d'aborder dans un même film.
Prise en flagrant délit, extrait de Tyrannosaur
Des artifices mis de côté...
Le long-métrage ne doit pas seulement sa réussite au fait que nous ayons l'impression que ce sujet n'ait pas été souvent abordé. Un sujet original ne fait pas nécessairement un bon film. Ces thèmes souvent compliqués, controversés ou tabous, nécessitent un traitement précautionneux, une mise en scène épurée de tout artifice. À l'instar de ses pairs, le réalisateur anglais dresse tout simplement - et c'est là la force du cinéma social britannique - un portrait d'une Angleterre fragilisée, aux problèmes sociaux identiques aux nôtres mais qui prennent pourtant à l'écran une tout autre dimension. Sans nous présenter le personnage principal de manière antipathique, le réalisateur réussit à garder une certaine distance envers ce veuf attiré par la boisson et au comportement parfois très violent. On ne ressent aucune compassion pour ce qui lui arrive mais l'on se prend pourtant au jeu de lui espérer des lendemains meilleurs. Quelques films sur le même sujet que celui développé par Paddy Considine ont tout de même été portés à l'écran, avec plus ou moins de succès. Le film Plus jamais de Michael Apted (sorti en 2002) est un parfait contre-exemple de ce qui fait la réussite du cinéma social anglais. On y retrouve la chanteuse (et actrice moyennement talentueuse) Jennifer Lopez dans un traitement très américain du problème où la femme maltraitée ne peut pas simplement être considérée comme une victime. La protagoniste, qui tente d'échapper à un ex-mari violent, va alors apprendre à boxer et ne pas hésiter à se lancer dans une course poursuite pour tenter de lui échapper. Une vision caricaturale et malhabile d'un problème infiniment plus complexe. C'est ce que François Truffaut appellerait du cinéma spectaculaire !
... et un pathos minimisé
Quand ce ne sont pas les artifices (l'action, le suspense...) qui finissent par le dénaturer, c'est le côté dramatique du sujet - pour nous tirer quelques larmes - qui est exagérément utilisé. Trop d'émotion tue l'émotion. A trop vouloir faire pleurer dans les chaumières, il arrive que le réalisateur soit complètement à côté des résultats escomptés. C'est un petit peu ce que l'on ressent à la vision du film Darling, de la Française Christine Carrière. Le sujet perd malheureusement de son intensité tant la personnalité particulière (voire un peu dérangée) de Darling (Marina Foïs) peut dérouter. Garder le ton décalé dans cette adaptation du roman de Jean Teulé, mêlant l'humour au drame du quotidien, n'était tout compte fait peut-être pas le bon procédé. En effet, peut-on vraiment traiter un tel sujet en mélangeant les genres ? L'exemple anglais montre que le genre dramatique convient évidemment parfaitement au traitement de tels sujets. Et le point fort de réalisateurs comme Ken Loach, Andrea Arnold (Fish Tank) ou Stephen Frears (My Beautiful Laundrette) est d'avoir justement réussi à approcher des sujets comme ceux de l'alcoolisme, de l'immigration, des relations entre religions ou même de la pauvreté sans avoir recours à un registre larmoyant.
L'histoire de ces anti-héros, ces gens ordinaires aux problèmes de plus en plus ordinaires, suffit en elle-même à donner ce côté dramatique et bouleversant qui fait de ces films venant du Royaume-Uni des réussites. Un point qu'avait bien compris Stephen Daldry avec Billy Elliot. La réussite du réalisateur est aussi d'utiliser comme prétexte l'histoire du jeune garçon, tiraillé entre l'envie de danser et la boxe que son père lui a imposé, pour traiter plus profondément d'autres problèmes sociétaux, notamment celui des miniers du nord de l'Angleterre dans leur combat durant les années 80 contre les fermetures de mines de charbon annoncées par le gouvernement de Margaret Thatcher. La trame de l'histoire nous montre le conflit vu de l'extérieur, à travers un père de famille qui doit choisir entre faire vivre sa famille et lutter pour l'avenir de son métier. Pas besoin donc de réaliser un docu-fiction pour nous montrer la violence et les difficultés intrinsèques au conflit.
La relève sera-t-elle européenne ?
Certains cinéastes ont donc compris ce qui faisait un bon film social et ont su réaliser de très bons films d'un genre qui ne gagne qu'à être développé ailleurs. Et ces réalisateurs sont bien de chez nous ! La France tente en effet depuis quelques années de s'intéresser à des sujets de société, parfois tabous et souvent minimisés. Le dernier exemple le plus parlant est peut-être le film de Philippe Lioret, Welcome, qui s'intéressait à la question de l'immigration. L'histoire nous fait suivre Simon (Vincent Lindon), un maître nageur originaire de Calais qui va aider en secret un jeune réfugié kurde souhaitant traverser la Manche à la nage. Ce personnage principal, qui veut surtout tenter de reconquérir sa femme en se faisant passer pour un idéaliste prêt à aider cet immigré, ne fait d'abord preuve d'aucune empathie sincère mais va pourtant vite se prendre d'affection pour le jeune kurde. Un sujet difficile pourtant parfaitement traité par Lioret, qui réussit lui aussi à dépasser ce pathos si cher à nombre de réalisateurs français.
Juste une petite douche, extrait de Welcome
Nos voisins belges peuvent eux aussi prétendre concurrencer sur ce genre les réalisateurs britanniques ; les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne sont évidemment la figure de proue de cette « nouvelle » garde. En abordant la question du mariage blanc dans Le Silence de Lorna ou celle de l'abandon dans Le Gamin au vélo, les deux frères livrent des films poignants et un cinéma au plus près des problèmes sociaux contemporains (une manière de traiter des sujets de société qui peut en agacer certains). Le sujet du Gamin au vélo est très bien amené. La jeune femme prête à recueillir l'enfant vivant depuis quelques temps en foyer va le faire parce que celui-ci le lui demande. Sans autre raison. Le recul dont fait d'abord preuve Samantha ne fait que donner plus de force à cette relation mère-fils qui va petit à petit se créer.
Ces réalisateurs réussiront-ils donc un jour à détrôner le cinéma britannique tant apprécié ? Les sujets à traiter sont encore nombreux et c'est à eux aujourd'hui de nous montrer qu'on peut parler de tout sans avoir à choquer ou à moraliser. Les derniers exemples en dates, De bon matin de Jean-Marc Moutout et Le Dernier pour la route de Philippe Godeau le laisse en tout cas penser. En attendant, le cinéma social de nos voisins britanniques reste bel et bien le plus adroit et captivant.
Images : © Studio Canal UK, © Columbia Pictures, © Universal Focus
Ils font passer ça aussi dans pas mal de séries comme Shameless, Misfits, Skins qui avait beaucoup fait parlé et sur laquelle les américains se sont cassé les dents en essayant d'en faire un remake. D'ailleurs ils s'attèlent à celui de Misfits (!) Ils n'ont toujours pas compris je crois !
Ensuite, ils peuvent compter sur un casting très convainquant, aussi bien dans leur physique proche de "monsieur-et-madame-tout-le-monde" que dans la façon de jouer (il suffit de voir les enfants anglais jouer! Ils sont merveilleux d'authenticité, ce qui est plus rare dans les autres pays).
Et enfin, ils n'hésitent pas à mettre de l'humour! Pas toujours, bien sûr (celui qui arrive à rire avec "Boy A" ou "All or Nothing", chapeau!), mais on ne compte plus le nombre de critiques sociales qui savent utiliser l'humour comme vecteur d'émotion: "Full Monty", "Billy Elliot", "My Name is Joe", "The Navigators"...
Je crois que quand les autres pays auront compris ça, ils feront également du cinéma social de qualité.
Néanmoins, il y a des pays qui sont quand même de sérieux concurrents à l'Angleterre: la France et la Belgique, oui, mais aussi le Danemark et le Mexique.
Et, dans un sens, n'oublions pas un certain cinéma social américain, avec des films comme "The Visitor"...