Pourquoi Wes Anderson est-il le réalisateur préféré de YouTube ?
C’est la magie du web : depuis des années, on voit émerger régulièrement des fausses bandes-annonces, des remontages "à la manière de" (y compris sur votre site préféré), des films parodiques, des pastiches, des hommages...Et en y regardant de plus près, on constate que le réalisateur qui inspire le plus les internautes, loin devant tous les autres, c'est Wes Anderson. Pourquoi lui plutôt qu'un autre ? C'est ce que nous avons demandé aux Wes-Anderson-en-herbe qui ont sévi récemment sur Internet.
Lors des derniers Oscars, The Grand Budapest Hotel n'a pas gagné la statuette du meilleur film. Il a tout de même réussi à tirer son épingle du jeu en remportant quatre prix dits techniques, pour ses costumes, ses maquillages, sa musique et sa direction artistique. Autant de récompenses susceptibles de valider l'opinion selon laquelle le cinéma de Wes Anderson serait purement formel. Une idée visiblement partagée sur le Net, où le style Anderson se retrouve pompé, copié, imité un peu partout.
Moustache et pop anglaise
Et si Wes Anderson réalisait le prochain Star Wars ? Et si Wes Anderson avait réalisé Forrest Gump ? Et si Wes Anderson réalisait un film porno ? Et si, et si…STOP ! Leave Wes Anderson alone ! Parce que la liste est encore longue (il suffit de faire une recherche Google avec "what if wes anderson" pour s’en rendre compte). Facilités, manque d'imagination, effet de mode ? A quoi est dû cet étrange phénomène ? Reconnaissons que Wes Anderson est victime de ces parodies parce que son style s'y prête à merveille. Au même titre que d’autres réalisateurs à la patte très identifiable (tels Tim Burton ou Terrence Malick), Wes Anderson est devenu une véritable marque à lui tout seul, un produit aisément reconnaissable et a priori facile à singer. Un moustachu décalé, des plans tirés au millimètre près, une bande-son sucrée et un peu désuète de 1963 (si possible, du Françoise Hardy ou de la chanson indé britannique), un Indien (d'Inde) atypique, et hop ! le tour est joué : vous venez vous aussi de réussir votre propre film à la Wes Anderson ! Sauf que ça a beau avoir l’air simple à reproduire, la quintessence de l'art "andersonien" dépasse largement le simple étalage de références à son univers. Une vidéo résume à elle seule les multiples trucs qu’utilise le réalisateur dans chacun de ses films, et ce depuis son tout premier long-métrage, Bottle Rocket. On y retrouve l'ensemble des tics visuels qui les parsèment : fétichisme, gros-plans sur les visages, contre-plongées sur les mains, longs travellings latéraux (le plus souvent de la gauche vers la droite), personnages déambulant au ralenti, grosse typographie jaune. Et beaucoup d’autres. On compte même un nombre considérable d'analyses se penchant sur la symétrie visuelle quasiment autistique de son cinéma, qu'Anderson filme des humains ou des renards.
"N'importe qui peut faire quelque chose ressemblant à du Wes Anderson"
Pour en savoir un peu plus sur la démarche de ces vidéastes amateurs et adorateurs de Wes Anderson, nous avons demandé à Patrick Willems - réalisateur d'une vidéo hommage fort réussie, The Uncanny X-Men - pour quelles raisons Anderson a sa préférence et ce qu'il pense de son influence visuelle sur la pop culture : « C'est l'un de ces réalisateurs que l’on reconnaît d'un seul coup d'œil tant son style est immédiatement identifiable. Dans tout ce qu'il fait, il apporte une incroyable attention au moindre détail ». Le jeune cinéaste amateur nous confirme ce que l'on soupçonnait : « Il construit des mondes tellement élaborés visuellement, que l’on a envie de se perdre dedans ». Sauf que lui non plus n'est pas dupe, et sait ce que cache réellement l'œuvre du bonhomme : « Même s’il y a un soin très particulier apporté à l’esthétique et à la forme, tous ses films sont extrêmement personnels. Il faut creuser sous la surface, au prix de multiples revisionnages. Au-delà des couleurs chatoyantes et des bandes-son indie pop, il y a un profond sentiment de mélancolie. Et c'est ce qui me plait dans ses films ». Mais pourquoi cette multiplication de vidéos pastichant son style ? « C'est simplement dû au fait que son style est facilement reconnaissable. Contrairement à d’autres réalisateurs, on peut résumer son cinéma en quelques éléments. Evidemment, pour que l'imitation soit parfaite, il faut qu'il y ait davantage de nuances ; mais n'importe qui peut faire quelque chose ressemblant à du Wes Anderson ».
Nous avons également contacté Thomas Scohy, réalisateur d'un court-métrage présenté lors du dernier festival Nikon. Son film, intitulé Je suis Wilson, est intégralement réalisé dans le style de Wes Anderson. Toutes ses créations y sont citées, ainsi que ses petites affèteries visuelles. Quand Scohy nous explique pourquoi il a choisi Anderson, on sent l'amour transpirer de ses paroles : « Il fait un énorme travail de composition sur chaque plan. Rien n’est laissé au hasard : positionnement des comédiens et des accessoires, omniprésence de la symétrie dans ses images ou des lignes de fuites vers le centre du cadre. Dans chacun de ses films, je peux couper le son et passer deux heures à ne regarder que la composition de ses plans, et être admiratif. A ce sens du cadre, il faut ajouter les costumes et décors toujours très travaillés, des tons de couleurs récurrents, le jaune et le rouge par exemple. Il complète sa patte visuelle en utilisant des focales anamorphiques, qui provoquent un effet déformant sur les bords de l’image, et des mouvements de caméras devenus très caractéristiques. En tant que réalisateur, j'aime retrouver chez un auteur un style, une façon de raconter. Je trouve son mode de narration souvent surprenant, notamment les récits emboités dans Grand Budapest Hotel. J'aime son usage de la voix off, ses histoires poétiques, le petit côté absurde que l'on retrouve parfois, comme le mariage des enfants dans Moonrise Kingdom ».
Gratter sous le vernis
Scohy étant visiblement un vrai fan, il sait aussi très bien ce qui se niche au creux des films du Texan : « En plus de sa touche visuelle, Anderson sait créer des personnages très attachants : des losers magnifiques, des frères et sœurs aux relations compliquées, des enfants adultes, et quantité de seconds rôles originaux, tous empreints d’une certaine mélancolie, poésie et nonchalance. Il explore souvent la relation père/enfant ou mère/enfant. Ces personnages et les décors dans lesquels ils évoluent nous plongent dans des univers imaginaires ou non, mais toujours fantaisistes ». Matt Zoller Seitz, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages consacrés au cinéaste, a lui aussi réalisé un essai vidéo en 5 épisodes revenant en détails sur la filmographie d'Anderson. Il nous a simplement répondu qu'il apprécie son cinéma principalement parce que ses films ont pour sujet des control freaks qui apprennent à se lâcher. Avant de nous préciser qu'il a de toute façon déjà tout dit dans son très beau livre disponible sur Amazon pour la modique somme de 27$19.
De reprises en reprises, d'hommages en hommages, ce qu'Internet retient d'Anderson se résume à un univers extrêmement codifié, détaché de toute implication émotionnelle, et dans lequel les personnages sont comme statufiés, robotisés. Ses films sont appréhendés à la manière de maisons de poupées avec lesquelles les vidéastes amateurs prennent plaisir à jouer (vous vous souvenez, quand on jouait à la dinette ? eh bien là, c’est pareil). Des sortes de doudous cinématographiques que l'on aime serrer fort dans ses bras quand on n'a pas trop le moral, un univers dans lequel il fait bon s'emmitoufler comme dans un gros pull d'hiver. Mais attention à ne pas tomber davantage dans le fétichisme désincarné, à muséifier ce cinéma. Ce piège menace déjà Anderson, lui dont l'esthétique a bien évidemment été récupérée par la publicité ; American Express, Prada et Stella Artois (entre autres) lui ayant déjà mis le grappin dessus. On ne va pas le plaindre, d'autant plus qu'il est le réalisateur de ces mini-clips quasiment autoparodiques, sauf qu'on a l'impression de voir Wes Anderson faire du Wes Anderson qui fait du Wes Anderson. Il ne faudrait pas que son cinéma suive cette pente ou ses films n'auront plus rien à envier aux vidéos qu'ils inspirent.
Bref je crois que ça correspond surtout à la vision du monde de Wes Anderson, mais dans chaque film il essaye de dire qqchose de nouveau sur et avec cette vision, à l'instar de Hitchcock avec sa perversité à l'intérieur du cadre, de Kubrick et son obsession pour le cérébral (https://vimeo.com/48425421), de Gilliam et son bordel organique, etc.
On peut dire qu'ils ne se renouvellent pas, mais je crois qu'ils creusent à chaque fois les mêmes questions qui sont les leurs en changeant quelques données, en essayant d'aller toujours un peu plus loin, et c'est là où ça devient vraiment intéressant de les suivre (mais j'aime aussi les réalisateurs qui changent leurs styles à chaque film ou presque hein, tout comme j'aime autant Van Gogh qui a insisté sur les mêmes trucs toute sa vie que Picasso qui a eu plusieurs périodes très différentes).
Une étude intéressante sur pourquoi ce est bien avec Wes Anderson, c'est justement les petites variations dans un tout identique : http://www.clermont-...nenbaum/accueil.html
Bien sur il y a parfois quelques beaux moments, comme les scènes en enfilade, telle la très belle mise en abime de l’ouverture des portes chez la défunte comtesse; ou le passage du tableau volé de la maison à l’intérieur de la voiture qui rappellent l’age d’or du cinéma d’animation Tchèque.
J'ai longtemps fait partie des haters, donc je comprends à peu près ton point de vue, mais la beauté de Moonrise Kingdom m'a ouvert les yeux et le cœur.