la politique selon saint-jean

L'Exercice de l'Etat : l’homme politique, un animal comme un autre ?

Dossier | Par Raphaël Clairefond | Le 26 octobre 2011 à 11h28
Tags : politique

L'Exercice de l'Etat, en salle aujourd'hui, met en scène Olivier Gourmet en ministre des Transports dépassé par les événements. Pour en parler, pourquoi ne pas partir (en toute simplicité) de la célèbre formule d'Aristote « l'homme est un animal politique » ? Jouons un peu sur les mots pour dire que pour Pierre Schoeller (Versailles), l'homme politique est un animal. Un animal parlant, mais un animal quand même. Aristote insistait sur le fait que l'homme est le seul être doué de parole. Grâce à ça, il peut formuler le partage moral du bien et du mal, fondement de la politique, de la gestion de la cité.

Et c'est logiquement sous cet angle-là, celui des mots, des belles intentions, des déclarations, des négociations de couloirs, réunions de crise et autres circonvolutions langagières que le cinéma présente généralement les hommes politiques, du discours de Chaplin dans Le Dictateur aux petites phrases de La Conquête en passant par les élans oratoires du président d'Independence Day et des grands biopics américains (JFK, W, etc).

Un animal habillé

Au moment de Cannes, nous avions comparé La Conquête de Xavier Durringer au Pater d'Alain Cavalier pour en conclure assez vite que nous avions affaire à deux manières radicalement opposées de filmer les arcanes de la vie politique française. D'un côté, une fresque qui relate un moment bien précis de l'histoire politique récente (l'accession au pouvoir de Nicolas S.) jouant l'imitation et le pastiche au risque du ridicule ; de l'autre un film-essai minimaliste et fantaisiste, dans lequel Vincent Lindon et son réalisateur « jouaient » littéralement au Premier ministre et au Président. Et ce jeu commençait par le choix d'une cravate, d'un costume, d'une inflexion de la voix... Comme s'il fallait d'abord choisir l'habit pour faire le moine, pour véritablement se glisser dans la peau du personnage et sentir le poids de la fonction sur ses épaules (de même que Melville est écrasé par sa responsabilité en revêtant la tunique papale dans Habemus Papam).


Ne sois pas insolent extrait de La Conquête

L'Exercice de l'Etat vient se placer quelque part entre ces deux approches. Comme La Conquête, il s'agit d'une fiction relativement classique dans sa forme, traitant d'une période nettement circonscrite dans la vie d'un ministère, avec des enjeux dramaturgiques balisés : comment le ministre des Transports va gérer l'accident de la route qui le met en difficulté ? Devra-t-il mettre ses convictions dans sa poche pour rester en poste et gérer la privatisation des gares ? Son directeur de cabinet (Michel Blanc, formidable de sobriété) lui restera-t-il fidèle jusqu'au bout ?

Et comme Alain Cavalier dans Pater, Pierre Schoeller a fait le choix judicieux de ne pas se référer à un homme politique en particulier. Cette tranche de fiction « pure » et en même temps très « réaliste » autorise toutes les libertés et détourne notre regard de la performance d'acteur et de son degré de mimétisme pour mieux nous attarder sur les moeurs des hommes politiques, leurs rites, leurs fantasmes, leurs tensions...

Le corps politique

La scène onirique d'introduction dans laquelle des hommes en noir masqués installent meubles et accessoires dans le bureau du ministre donne le ton. On passe derrière le rideau du théâtre pour scruter la vie politique dans tous ses artifices, ses mises en scène, mais aussi son incarnation « charnelle » et ses fantasmes : c'est la fin du rêve, qui voit une jeune femme nue disparaître dans la gueule du crocodile. A son réveil, le ministre a la gaule (sans mauvais jeu de mots).

Dans le dossier de presse, Schoeller précise : « C'est toujours le corps qu'on suit. (?) Saint-Jean bande, saigne, s'enivre, rit? ». Le jeune cinéaste a compris qu'il n'y a pas de meilleur medium que le cinéma pour raconter une histoire à travers des corps, des mouvements, des vitesses? Et quoi de mieux qu'un ministre des Transports passant son temps sur la route dans une berline filant à toute blinde pour évoquer ce rythme trépidant de la vie politique ? Par ailleurs, les inserts en surimpression des alertes mail et sms des smartphones participent de cette sensation d'accélération frénétique des échanges, des événements et renforcent l'impression d'une vie sans temps morts (le jour, la nuit, tout ça n'a plus aucune importance) où les moindres phases de repos sont susceptibles d'êtres interrompues par une mauvaise nouvelle.

On éprouve, physiquement, cette course derrière l'actualité, une course sans ligne d'arrivée et donc, perdue d'avance. Quand l'accident finit inévitablement par survenir, c'est dans un immense fracas de métal, de verre et de chaire à vif qu'il éclate (une scène qui rivalise d'intensité avec la tôle froissée du crash dans Boulevard de la Mort). A ce moment-là, tous les mots, les petites phrases, les discours rassurants se trouvent balayés, rattrapés par la fragilité du corps que la tête pensante avait fini par négliger. Schoeller cerne merveilleusement tous ces moments de relâchement et d'excès (cuite, embrassades, effort physique?) durant lesquels le « corps politique » perd la maîtrise et fait défaut, quand les instincts et les désirs reprennent leurs droits.

Le meilleur ami de l'homme ?

Et pourtant, le film n'est ni mutique, ni froid comme pouvait l'être parfois Hunger de Steve McQueen (autre grand film sur le corps et la politique), loin de là. Il ne vire jamais à la pose « auteurisante ». Il ne néglige d'abord pas l'intensité laborieuse du travail des dossiers au milieu des dorures, et c'est même avec une certaine bienveillance qu'il montre le quotidien du ministre auquel, pourtant, rien n'est épargné. Celui-ci se révèle parfois touchant, souvent pathétique, mais jamais caricaturé. Les échanges creusant l'amitié fidèle qui le lien à son « dir'cab » sont, par exemple, extrêmement importants dans le fil du récit :


Monsieur le ministre extrait de L'Exercice de l'Etat

Schoeller évoque assez finement la sincérité de ce genre de compagnonnage, mais aussi et surtout, la fragilité de cette sincérité dès que la conjoncture la met à l'épreuve. Elle est facilement balayée par les événements, écorchée aussi aisément que le corps dans le choc de l'accident. L'Exercice de l'Etat nous expose « à vif » la part viscérale, physique et brutale de la condition d'homme politique sans pour autant se cantonner à cette espèce d'animalité qui resurgit toujours quand on croit l'avoir parfaitement dominée.

L'animal politique tient donc moins, devant la caméra de Schoeller, du chien fidèle et dévoué au peuple son maître, que du chat perfide qui ne vient se frotter à vous en ronronnant que dans l'espoir de récolter suffrages et caresses.

Si maintenant vous vous demandez ce qu'il reste d'humain dans le politicien, on en parle autour des Marches du pouvoir.

Images : © Diaphana Distribution

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