Star Wars : Et s'il était temps de réhabiliter La Menace fantôme ?
Au micro de RTL, fin novembre, Steven Spielberg a presque créé un petit scandale. Pas lorsqu'il a annoncé que Star Wars VII serait le plus grand succès de tous les temps, mais quand il a clamé son admiration pour « CHACUN des nouveaux épisodes de Star Wars ». Les films sortis entre 1999 et 2005 donc, ce qui inclut l'Episode III, épargné par les fans, mais aussi les Episodes II et surtout I, le plus gros succès de la saga au box-office et l'objet d'une haine unanime de la part des fans. Et pourtant, souvenez-vous : La Menace fantôme fut aussi attendue que ne l'est aujourd'hui Le Réveil de la Force. La bande-annonce était belle, tout y était : vaisseaux, sabres laser, musique de John Williams, princesse, robots, monstres. Tout le monde y croyait, tout le monde l'a vu et tout le monde a été déçu. Vraiment tout le monde ? Non, la déception ne venait que des fans. Et ils avaient tort. D'accord, il y a Jar Jar Binks, un enfant qui joue Anakin comme l'aurait fait Shirley Temple après deux joints, un marchand d’esclave en images de synthèse digne d'une caricature antisémite, et pourtant, c'est Steven Spielberg qui a raison : La Menace fantôme est un film admirable.
Si l’Episode VII ne pâtira probablement pas des attentes démesurées qu’il suscite, c'est précisément parce qu'il n’est conçu que pour ça : combler des attentes. En 1999, George Lucas ne veut pas sortir l'Episode I pour les fans, mais pour lui. Parce qu’il a cette histoire de République transformée en Empire dans la tête depuis toujours, et que Jurassic Park, six ans plus tôt, a prouvé qu’il était devenu possible de la montrer à l’écran ; ce qui impliquait pour lui de revenir à la réalisation pour la première fois depuis l’Episode IV. En un mot comme en cent, en 1999, La Menace fantôme est le premier film « personnel » de George Lucas depuis 1977. Il est donc profondément injuste de le prendre pour une trahison.
Un film politique, pas un conte de fées puéril
En 1977, George Lucas a 33 ans quand il sort La Guerre des étoiles et il ne se soucie pas forcément d'avoir des fans. Dans la vie, il aime les bagnoles et il est là pour amasser un peu d’argent grâce à un film au trucage chiadé, pour mieux retourner faire du cinéma d’auteur style THX 1138. En 1995, date de la première mouture du scénario de l’Episode I, Lucas a 51 ans. Si on attend de lui qu’il tourne le même film qu’à 30 ans, il faut le confier à un trentenaire parce que Lucas, et Star Wars avec lui, ont mûri. Résultat : contraitement à sa dernière réalisation, l'Episode IV, un conte de fée aussi puéril qu’un Flash Gordon dopé aux lectures de Joseph Campbell, l’Episode I est un film politique. Tellement politique que Lucas y raconte l’histoire d’une République fragilisée par la guerre, deux ans avant le 11-Septembre et le PATRIOT Act de Bush qui fera exactement ce que font les politiciens de la République Galactique en restreignant les libertés pour répondre à une menace...
Il est plus simple de raconter comment des résistants combattent un empire et rétablissent la démocratie en tuant les méchants (Episodes IV, V, VI) que de montrer comment une République se délite (Episodes I, II, III). Dans l’ancienne trilogie, les personnages ont de la place pour se détendre. On peut suivre des droïdes en randonnée pédestre, reluquer une princesse se faire draguer par tout le monde et passer une heure en forêt avec un Minikeum sans que l’intrigue politique ne s’en trouve amoindrie. La politique, en plus, se fait l'écho des victoires personnelles : Luke devient un Jedi, donc l’Empire redevient une République. Dans la prélogie, c’est l’inverse : l’intime (la chute d'Anakin du Côté Obscur) n’est que la métaphore du politique. Dans l’Episode I, le véritable héros n’est pas un petit garçon (et ce n'est pas non plus Jar Jar Binks, ouf !) : c’est une planète, Naboo, symbole de la République, petite utopie où une reine élue règne entourée de sages conseillers sur un paradis écologique, dans des palais de la Renaissance italienne. Dans la scène finale, c’est elle qu’on sauve, c’est elle qui est de tous les plans : ses plaines, ses bâtisses, sa souveraine et ses peuples indigènes.
Episode 1 : des légumes à la place des bonbons
L’Episode I est ainsi l’histoire de Naboo, harcelée par la Fédération du Commerce. De la part d’un film conçu pour être le plus commercial de l’Histoire, ça ne manque pas de culot (James Cameron tentera le même coup de poker avec Avatar, film ultra-technologique contre la technologie). Et ce n’est pas la même chose qu’en 1977, non. En 1977, on n’avait pas lu trois mots du prologue défilant qu’on entendait déjà un gosse de sept ans jouer avec ses figurines. « Guerre civile ! » lisait-on pourtant. « Vaisseaux spatiaux REBELLES !! Base cachée !! Méchant Empire Galactique !!! ». En 1999, les fans qui depuis 15 ans se passaient en boucle les combats interstellaires, les duels au sabre laser, et s’attendaient au shoot d’innocence et d’euphorie survendu par la marche de John Williams, furent douchés par le niveau de langue des premières phrases du tout nouveau prologue : « Turmoil has engulfed the Galactic Republic. The taxation of trade routes to outlying star system is in dispute ». On passait d’une narration comme faite par Andy dans Toy Story aux chapitres les moins fun des mémoires de Barack Obama. Dans les faits, c’était une amélioration. Pour les impatients qui feraient bientôt la réputation du film, c’était des légumes à la place des bonbons.
Négociations, invasions stratégiques, discussions au Sénat : pour ceux qui veulent du héros, du laser et du bonheur, La Menace Fantôme ne se relève jamais de sa première heure ultra-politique. Lucas tente bien de rappeler que le film s’adresse aussi aux enfants en convoquant Jar Jar Binks et ses copains Gungans, mais ça ne marche pas alors qu'ils sont aussi débiles que les Ewoks du Retour du Jedi, qui, eux, continuent de bénéficier du passe-droit accordé dans les années 80. Pour un peu, il aurait donc fallu remplacer Jar Jar Binks par un nain dans un costume d’ourson SDF flippant, ça aurait été irregardable mais plus fidèle à la trilogie originale... Pareil pour le jeu d’acteur réputé insupportable de ce malheureux Jake Lloyd, alors que même les geeks invétérés de Screen Junkies ont admis récemment que des mauvais acteurs dans les rôles principaux faisait partie de l’ADN de la saga. Si Mark Hamill, Carrie Fisher, Jake Lloyd et Hayden Christensen avaient été aussi doués qu’Alec Guinness, Harrison Ford, Natalie Portman ou Samuel Jackson, on l’aurait remarqué par la suite, non ? Il faut de tout pour faire une galaxie.
Il y a une vie autour de Jar Jar
Mais Jar Jar Binks, peut-on le sauver ? Il s'agit de l'un des premiers personnages entièrement numérique au cinéma [1]. Ses exubérances sont celles de techniciens découvrant un nouvel outil et s’essayant aussi sec à numériser Buster Keaton. Sa bêtise même ne devrait pas choquer. Jusqu’au fin fond des pièces de Shakespeare, il y a des personnages de bouffons censés faire rire, tout en détenant une part de vérité. Binks et les Gungans représentent ainsi une peuplade autochtone consciente du danger qu’elle court et prenant les armes pour défendre sa souveraineté. La scène où la reine Amidala, déguisée en servante, vient s’agenouiller devant leur roi au milieu de la forêt, est ainsi l’une des plus belles de la prélogie, ne serait-ce que par l’humilité des dirigeants vis-à-vis du peuple ainsi mise en scène. Dans l’Episode II, Lucas justifie joliment la maladresse de Binks en lui donnant des conséquences plus sombres : c’est lui qui fait voter les pleins pouvoirs au chancelier Palpatine, accélérant son ascension vers le pouvoir absolu. En attendant, dans La Menace fantôme, il est ce précieux rasta (Ahmed Best, cet Andy Serkis raté, a joué Bob Marley dans un docu-fiction en 2010) complètement abruti : si l’on y voit une sorte de Pierre Richard de l’espace, il y a moyen de rigoler, comme lorsqu’il dit à un enfant de dix ans qu’il trouve la princesse « plutôt chaude » (mais WTF, Jar Jar ?!).
La Menace fantôme a suffisamment de beautés pour faire de Jar Jar un détail. Enveloppés par un score de John Williams aussi sublime que d’habitude, les décors visionnaires se succèdent à une vitesse que l’on n’aurait même pas espéré d’un Star Wars en regard de l’ancienne trilogie : cité sous-marine des Gungans, armée d’invasion rongeant la forêt et les plaines, traversée d’abysses sous-marins grouillant de monstres dont l’accumulation grotesque mêle le comique à l’émerveillement. Et ce n’est que le début ! L’interminable séquence de la course de podracers est un étourdissant festival d’effets sonores surexcitants, les plans sur la planète-ville Coruscant sont somptueux et, pour peu qu’on se soit pas obnubilé par Jar Jar Binks, on en a largement pour son argent lorsque Dark Maul dégaine son double sabre laser et que John Williams envoie les chœurs (Duel of the Fates, un morceau devenu si célèbre qu’on en oublierait presque qu’il vient d'un film aussi « décevant »).
L'Episode I est meilleur que l'Episode IV
Dark Maul, grande réussite des maquilleurs, aurait été sous-exploité, disent les déçus. Lucas n’avait tout simplement pas envie de donner dans le gras, pas plus qu’il ne voulait donner dans le fétichiste en reproduisant les plans que ses fidèles idolâtraient depuis des années. En 2015, avec le rachat de Lucas par Disney, l’ère des clones fétichistes est arrivée. Réalisé par un autre que Lucas, Le Réveil de la Force s’inscrit dans la tradition de L’Empire contre-Attaque – ce n’est pas une mauvaise nouvelle en soi, l’Episode V étant largement supérieur à l’Episode IV (et encore, on reste poli). Aussi faut-il s’attendre à lire un peu partout, dans les semaines qui arrivent, que Star Wars est meilleur quand ce n’est pas Lucas qui réalise (Kershner pour le V, Spielberg en clandestin pour le III, Abrams pour le VII)… Il y aura sans doute du vrai là-dedans, mais le film le plus fidèle à l’Episode IV, le vrai film de George Lucas qui fait du George Lucas, reste La Menace fantôme.
Sur les quatre Star Wars réalisés par Lucas, deux racontent l’histoire d’un type paumé dans le désert se retrouvant catapulté au cœur de la galaxie. Lucas en est probablement là : lui qui, en 1977, était seul dans le désert du cinéma de science-fiction, s’est retrouvé roi d’Hollywood. Contre toute attente, il est l’un des rares a avoir su continuer à faire ce qu’il voulait au milieu des milliards. Même Peter Jackson, revenu dans l’arène pour tourner Le Hobbit, a reconnu récemment ne pas y être parvenu du tout. Son univers a d’ailleurs effectué le cheminement inverse de celui de Lucas : Jackson a commencé par une trilogie plutôt politique (Le Seigneur des Anneaux) pour finir par une prélogie puérile (Le Hobbit). A quoi bon en vouloir à Lucas pour ça ? Spielberg étant plutôt un homme de confiance, gageons que l’Episode VII sera en effet très réussi. Mais la moindre des choses serait de garder en mémoire que Le Retour du Jedi s’achève sur un plan indigne du Club Dorothée, que l’Episode IV est un assez petit film très agrandi par son succès ; et que lorsque Lucas revint aux affaires en 1999, il savait très bien ce qu’il faisait : de meilleurs films qu’avant.
[1] Le premier véritable personnage entièrement en images de synthèse était Casper en 1995. Merci à @Gorkab pour la précision.
Je vais reprendre des pâtes pour oublier ce que je viens de lire (tant de bêtise et de contre-vérité dans un si petit paragraphe)