Qui La planète des singes traite-t-il de macaques ?
Un chimpanzé fou furieux, à cheval, galopant avec un fusil-mitrailleur dans chaque main, à l’assaut de ses ennemis : c’est ridicule ? Pas plus que quand c’est Mark Wahlberg, Dwayne Johnson, Stallone et Schwarzy qui le font. Le réalisateur Matt Reeves et ses scénaristes n’aiment pas les héros trop musclés, encore moins s'il sont armés jusqu’aux dents. Ils le font savoir avec La planète des singes : l’affrontement, grâce à une drôle de Bible empruntée au rayon BD et à quelques reconstitutions simiesques de scènes de blockbusters.
On voit un livre dans La planète des singes : l’affrontement. Une BD : Black Hole de Charles Burns. Alexander, l’ado qui accompagne son père dans la forêt où règnent les super-singes, la lit le soir, sous sa tente. Nous sommes en 2000 et quelques, toute l’humanité a disparu ou presque, les survivants ont les larmes aux yeux quand ils réussissent à écouter un CD, alors le fait que cette BD soit là, entre les mains de ce gamin, nous interpelle une première fois. Car il y a une seconde fois, moins anecdotique, pour confirmer que Black Hole n’est pas seulement là parce que le réalisateur Matt Reeves et ses scénaristes l’aiment bien. Quand Alexander veut faire copain-copain avec Maurice, l’orang-outan qui sert de professeur aux jeunes singes, l’ado lui offre Black Hole, le feuillette avec lui, puis commence à le lire à haute voix.
Ce premier livre sur lequel se penche le singe OGM raconte l’histoire de jeunes américains des 70’s, infestés par une maladie sexuellement transmissible qui provoque d’affreuses mutations (elles varient d’un malade à l’autre : seconde bouche dans le cou, déformation du visage, décollement de la peau, etc.). Devenus parias, les déformés s’exilent dans les bois où ils se regroupent et tentent de survivre. Soit le canevas scénaristique du cycle La planète des singes dernière génération, grosso modo, avec les chimpanzés à la place des ados difformes. Ce que découvre Maurice, c’est donc l’histoire de son peuple. Il ne s’agit pas uniquement de rapprocher encore humains et singes (tous deux se découvrent un cousinage intellectuel, en plus d'être biologique), mais de poser Black Hole comme texte fondateur, une référence dont l’orang-outan pourra se faire le relais. Ou plutôt l’apôtre. Black Hole devient la Bible des super-singes voués à supplanter les humains. Charles Burns remplace Saint-Matthieu. Amen.
Matt Reeves, la grosse tête qui vient en cours avec sa BD tendance sous le bras
Interrogé par le Philadelphia Inquirer, Burns, qui est de Philadelphie, explique avoir autorisé la 20th Century Fox à utiliser son livre dans ses films, il y a bien longtemps. Lui, il avait complètement oublié ce deal ; pas la Fox. Seulement dans un film, un ado ne part pas dans les bois avec une BD de près de 380 pages et de plus d’un kilo, classée au 13 594ème des ventes de livres sur Amazon, un roman graphique entièrement en noir et blanc, où se mêlent libido, cauchemars mystiques et puberté foireuse, simplement pour profiter d’un contrat. On ne perfectionne pas les dons de lecture de Maurice l'orang-outan avec ça, c’est aussi déplacé que d’apprendre à lire à un élève de maternelle avec Playboy. Même si elle a été récompensée partout dans le monde, cette BD reste un objet de contre-culture, devant lequel certains spectateurs pourraient bien se gratter la tête, en se demandant quelle est cette lecture et si elle aussi appropriée aux débutants qu'une aventure de Mickey.
J.J. Abrams, grand pote de Matt Reeves et producteur de son Cloverfield, avait fait un coup semblable au début de son premier Star Trek. L’action se déroule dans un futur méga-lointain, Kirk est old school, c’est vrai, mais de là à savoir que Sabotage des Beastie Boys existe et à l’écouter… C’est pourtant ce qu’il fait et ça met la puce à l’oreille (même s’il existe un épisode de Futurama pour nous prouver que les Beastie Boys résistent au temps). Ce qui relève alors du clin d’œil, semble avoir valeur de programme dans La planète des singes : l’affrontement, en partie parce qu’il y a une forme d’irrévérence inscrite dans le code génétique de la saga, depuis l’épisode inaugural en 1968, année contestataire et simiesque (l’autre grand film de singes cette année là étant 2001, l’odyssée de l’espace).
Plus il y a de singes, plus le film est effronté
La planète des singes, version Schaffner, d’après le roman du français Pierre Boulle, ne flatte pas les créationnistes, encore très nombreux aujourd’hui aux Etats-Unis. Pire que l’Homme qui descendrait du singe, le singe qui descend de l’Homme : premier étranglement chez ceux qui croient dur comme ferme que Dieu nous a fait à son image. Deuxième étranglement : le singe reproduit tout ce qui fait de l’Homme une créature spirituelle, assimilant ainsi Dieu à un grand babouin. A cela s’ajoutent un antimilitarisme criant et une défiance au pouvoir de l’époque : le remake et les prequels ont pourri le final du film de Schaffner, mais avant eux, c’était quelque chose de découvrir à la dernière minute que la fameuse planète des singes était en fait la Terre et que l’arme nucléaire était la cause de ce chambardement... Mettre en scène les singes dans des rôles comparables à ceux d’humains revient toujours à caricaturer, à singer littéralement, et c’est rarement flatteur pour ceux qui seraient visés.
La planètes des singes : l’affrontement n’est pas un film contestataire – ne poussons pas – mais au moins moqueur. De qui se moque-t-il, cet effronté qui cherche à se distinguer des autres blockbusters, avec son Black Hole sous le bras ? D’une politique passée, puisqu’il est question d’armes de destruction massive et de manipulation de l’opinion publique afin de déclencher une guerre : Bush Jr, l’Irak ; vous connaissez, c’est obsolète. D’une vision toujours en vogue du bon sauvage (Rendez-vous en terre inconnue le fait très bien sur France 2), puisque les singes s’apparentent à une peuplade primitive et les humains, à des conquérants du Nouveau monde, mais ce sont les singes qui déclenchent les hostilités, preuve que le bon sauvage ne l’est en fait pas tant que ça : la vie n’était donc pas forcément mieux avant, dans la Nature ; là encore, vous connaissez. Si le discours de ce nouveau film est original, c’est concernant ses congénères, les blockbusters.
Rambo III avec un chimpanzé dans le rôle de Sly
Il n’est pas interdit de chercher quelles scènes déjà vues dans d’autres grosses productions rejoue La planète des singes : l’affrontement. Ce singe qui triomphe sur le toit d’une voiture, fier d’avoir réussi son assaut sous les yeux de son chef, mais qui explose soudain, rappelle l’effet de surprise déjà provoqué par Paul Verhoeven dans le final de Robocop (le type dans la grue, tout heureux d’avoir lâché sa tonne d’acier sur le superflic, juste avant d’exploser dans un feu d’artifices). Cet autre chimpanzé, chevauchant comme un fou de guerre, un fusil mitrailleur dans chaque main, arrosant tout avec, c’est Rambo et son cocktail molotov à dos de canasson (période Rambo III, ses montagnes afghanes, ses chevaux, sa guerre gagnée seule). Le même singe jouant les idiots pour feinter deux types armés n'est pas loin d'emprunter sa technique à Schwarzenegger dans Total Recall ("Vous croyez que je suis le vrai Doug Quaid ?" lance Arnold aux sentinelles qui ne savent pas s'il est un hologramme ou non. "Gagné" lâche-t-il en flinguant tout le monde). Et cette main qui lâche prise au sommet d’une tour, ce pourrait être celle de Hans Gruber à la fin de Piège de cristal.
Dans un épisode des Simpson, Homer devient une sorte de leader franc-maçon et rêve de faire rejouer la bataille de Gettysburg par des singes. C’est ce que fait Matt Reeves, mais avec les blockbusters, tous rejoués, par morceaux, avec des chimpanzés à la place de Bruce Willis ou Sylvester Stallone. Deux vieux ? Il tire sur l’ambulance, Reeves, sur un cinéma d’action musculeux qui n’existe plus ? Non, parce que ce cinéma vit toujours – la sortie d’Expendables 3 le rappelle –, ses acteurs aussi – la sortie d’Expendables 3 le rappelle –, jouit d’une nostalgie croissante (bientôt dispos, deux documentaires sur Golan et Globus, les producteurs de Portés disparus avec Chuck Norris ou American Warrior avec Michael Dudikoff) et qu’en plus, ses stars sur le retour ont des petits frères, de Vin Diesel à Dwayne Johnson, en passant par Hugh Jackman et Mark Wahlberg, d'ailleurs pourfendeur de singes dans le remake de La planète des singes par Tim Burton (et qui succède à Shia Labeouf dans Transformers 4, c’est dire si les muscles sont de retour, même si ce sont les robots qui cassent tout, pas les hommes).
Celui qui prend les armes descend de l’arbre, pas du singe
La planète des singes : l’affrontement se moque de ce reflux de testostérone doublé d’une vénération des armes à feu. Ces dernières constituent le seul vecteur de maladie du film, d’ailleurs. De l’épidémie fatale à l’humanité, on ne voit que des paraboles rouges bondissant d’un point à un autre du globe, durant le générique (elles ressemblent à des trajectoires de missiles balistiques d’un film des 80’s). Le vrai virus correspond aux armes, un truc de dégénérés et de ploucs (il n’y à qu’à voir ceux qui s’entrainent au tir, dans le film), la cause et la conséquence de la guerre, un vrai bâton merdeux salissant définitivement les mains. Flingues et mitrailleuses avalissent, il n'y a qu'à voir leur impact sur les singes.
Avec la sortie récente de Transformers 4, on pense à ce moment où Stanley Tucci se réfugie sous un bureau, implorant Mark Wahlberg d’en finir avec toute cette violence. Wahlberg le prend au mot et lui jette son fusil-mitrailleur : à lui de se débrouiller. Evidemment, Tucci se reprend, tout désolé, et incite le héros à récupérer son bien, parce que pour tenir une arme, il faut visiblement être un vrai mec, pas un trouillard planqué sous une table (on est de mauvaise foi, en vérité Wahlberg utilise l'arme à contre-coeur). Le fusil-mitrailleur, c’est pour Mark Walhberg, mais chez Matt Reeves, c’est pour les singes, et les singes les moins admirables, ceux qui sont méchants ET acteurs : le plus belliqueux d’entre eux est aussi le seul à jouer un rôle, à faire l’idiot pour tromper des humains.
Voilà à quoi s’apparenteraient les héros armés jusqu’aux dents et leurs interprètes : des gorilles, trop idiots pour se rendre compte qu’ils sont ridicules. Matt Reeves voudrait signifier que Hollywood est entre les mains de bouffons qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Et il le dit justement avec une production hollywoodienne. Les bouffons sont donc soit toujours plus cyniques, soit toujours plus bêtes. Une chose est sûre : comme leurs singes, ils évoluent.
En tout cas merci et bravo :)