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Un film qui manque de gosse

Pourquoi la communauté n'est pas trop fan de “Ma vie avec John F. Donovan” de Xavier Dolan ?

Actualité | Par Joseph Boinay | Le 22 mars 2019 à 18h40

Budget pharaonique, “hollywoodien”, de 23 millions d'euros, soit trois fois le montant de son film le plus cher (Juste la Fin du monde, 2016), Ma vie avec John F. Donovan, le nouveau Xavier Dolan n’a pour l'instant pas le succès escompté. Assassiné par la critique à Toronto, pas distribué aux Etats-Unis et seulement troisième meilleur démarrage pour un film du réalisateur québécois (alors qu'il établit son record de copies en France), on peine à croire que le bouche à oreille suffise à en faire un classique. Comment l’expliquer ?

Grâce à Vodkaster, le meilleur instrument pour mesurer la cote du cinéaste canadien : 25e réalisateur préféré de la communauté (sur quelques milliers) mais aussi parmi les plus haïs (13e), le jeune prodige ne nous laisse jamais indifférents : c’est une longue histoire d’amour-haine passive-agressive. Et il y a de quoi : oscillant entre admiration pour son audace formelle et rejet d’une pose insolente, on se demandait déjà il y a cinq ans si l’élève Dolan avait une tête bien faite ou une tête à claque. Spoiler : une tête à claque, mais d’un cheveu seulement (tirée d’une mèche reposant négligemment sur le front). Ne serait-ce pourtant pas là toute la singularité du jeune trentenaire, ce petit je-ne-sais-quoi attachiant qui expliquerait, in fine, l’indifférence polie qu’a rencontré Ma vie avec John F. Donovan ?

Les Vodkastos ont en tout cas été intransigeants, infligeant à la bluette adolescente (“le meilleur film que je puisse, à ce moment de ma vie, vous donner”) son plus faible score, tous films confondus (40% de taux de satisfaction). Et même s'il se trouve encore quelques défenseurs, les reproches fusent : “l'émotion reste prisonnière” (@Anaphor) dans cette “épopée qui en reste à l'état larvaire, un peu flasque” (@Kikuchiyo) car “dépouillé de ce qui faisait son charme (sa morgue de gosse), et dont il ne reste qu’un kitsch académique, creux.” (@lebateausobre).

Mais pourquoi tant de haine ? 

D'abord, pour des raisons de rythme et de longueur (le premier montage durait quatre heures !), l’immense Jessica Chastain a été coupée au montage. Mais n’est pas Terrence Malick qui veut et ça en a agacé plus d’un. Plus qu'un agacement, l'absence de figure “explosive” a probablement arasé les habituelles aspérités du cinéma de Dolan. L’actrice, qui jouait en effet une odieuse rédactrice en chef de journal people, aurait pu apporter ce fameux soufre qui enflamme habituellement le coeur des Vodkastos. Comme l'explique @Bakou9 : “En aseptisant son style, il perd ce qui faisait son sel, l'émotion s'envole et reste un grotesque surjeu généralisé.” Le récit, dès lors trop rigide, ne procure plus aucun trouble : “En polissant, domestiquant et maîtrisant sa fièvre cinématographique, Dolan semble avoir perdu de son impact, esquivant l'émotion.” justifie @Vance.

Mais ces énormes coupes ont sans doute également désarticulé une histoire originellement plus pleine, plus complexe. Ainsi @Cath44 reproche au montage ses ellipses qui font qu'on “se perd parfois dans ces allers-retours, ces flashs-backs et différentes temporalités” ou qu'on “passe parfois trop rapidement sur certains personnages.” @ianov confirme en y voyant “une fièvre d'écriture intacte, mais une oeuvre désordonnée, comme les persiennes sur le royaume de Dolan.” “Les fans n'auront qu'à rêver un film remonté qui rende justice à son sujet et à ses comédiens” achève @jolafrite...

Alors bien sûr, ça n'est pas un naufrage, on a encore plaisir à partager les obsessions du cinéaste et la note moyenne n'est pas si catastrophique. Mais c'est un sérieux avertissement : Xavier Dolan n'est jamais meilleur que lorsqu'il trouve un équilibre entre une pointe de classicisme et des jaillissements d’exubérance, un style pompier tempéré par la sincérité du mélo. Ironiquement, ce film qui met en garde contre le risque de s'abandonner aux sirènes des Majors est peut-être la meilleure preuve de ce qu’il avance : avec ce premier jet “hollywoodien”, il s'est sans doute un peu perdu et beaucoup de fans avec lui. Il expliquait dans une interview à Télérama à quel point la création du film était douloureuse, du financement à la postproduction : c'est peut-être là une leçon à retenir ; revenir au pays, aux fondamentaux, à l'enfance de l'art. Tout simplement, retrouver le sale gosse en lui. 

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17 commentaires
  • zephsk
    commentaire modéré @Sanium Peut-être parce que tu faisais partie des haters ? :)
    24 mars 2019 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Sinon, ceux qui l'ont vu, qu'avez-vous pensé de l'énorme hommage (pompage ?) à Magnolia ?
    24 mars 2019 Voir la discussion...
  • Sanium
    commentaire modéré @zephsk Ah nan, du tout. Ni fan, ni hater. Je le trouve assez talentueux mais son cinéma avait tendance à être étriqué (il l'est toujours un peu trop, probablement). J'avais besoin d'un film de sa part avec plus de souffle. C'est le cas ici, pour moi, et ça fonctionne
    24 mars 2019 Voir la discussion...
  • WeOwnTheNight
    commentaire modéré Pas vu le dernier Dolan et vu la vitesse à laquelle mon ciné l'a déprogrammé ça ne sera pas pour tout de suite. Mais je me suis posé la même question pour son précédent film que je trouve en tous points remarquable.
    27 mars 2019 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @WeOwnTheNight Et tu étais fan à l'origine ?
    27 mars 2019 Voir la discussion...
  • WeOwnTheNight
    commentaire modéré @zephsk "Fan" c'est un bien grand mot mais j'appréciais déjà beaucoup son cinéma avant "Juste la fin du Monde" (très différent, trop peut-être pour certains du reste de son cinéma) depuis le choc "Mommy" en 2014. Après tout il est tout de même 10e de mon top réal Vk pour l'heure (mais il m'en reste 3 à voir, ses deux premier et son dernier donc).
    27 mars 2019 Voir la discussion...
  • ProfilSupprime
    commentaire modéré Je n'arrive pas vraiment à cerner ce qu'on reproche au film qui s'écarte de beaucoup des habitudes de fond qui étaient l'objet de critiques et qui, dans la forme se réinvente sa's cesse. Je trouve que Dolan est très bon mais que le génie qu'on prêtait à Mommy n'était qu'une base de Ma vie avec John F. Donovan qui contient autant la patte du réalisateur que son identité propre...
    27 mars 2019 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @WeOwnTheNight Oui la question c'est de vérifier si la plupart des cinéphiles qui aimaient Dolan avant son tournant "de la maturité" sont un peu désarçonnés par une réalisation plus sage
    27 mars 2019 Voir la discussion...
  • sgabedou
    commentaire modéré Pour moi, il réussit dans Mommy tout ce qu'il rate dans Ma vie avec John F. Donovan: Le montage, les choix musicaux, les couleurs, l'émotion brute. Le dernier est terne, accumule les scènes sans lien, devient interminable, étale 3 couches de pathos et sonne aussi faux que la perruque de Susan Sarandon. Seul Jacob Tremblay est extraordinaire. Et Dieu sait que ça me fait mal d'écrire ça, mais je suis assez fan de Dolan en général et j'ai vu tous ses film: pourtant, c'est bien le seul que je n'ai pas aimé.
    27 mars 2019 Voir la discussion...
  • ProfilSupprime
    commentaire modéré @sgabedou Je trouve justement que la réalisation et la directions artistique se mêlent très bien entre elles et au sujet. Cependant, je peux te comprendre sur le non-lien des scènes.
    27 mars 2019 Voir la discussion...
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