Rencontre avec l'honorable Michael Lonsdale à l'affiche des Hommes libres
Michael Lonsdale est un vieux monsieur qui a vu bien des choses. Entre ancien temps et renouvellement du cinéma, récit d'une savoureuse rencontre à l'occasion du Festival Paris Cinéma. Il nous parle de sa carrière bien sûr et de la sortie du film Les Hommes libres, qui sort aujourd'hui, un drame dans lequel le comédien tient l'affiche avec Tahar Rahim.
La carrure massive presque trop grande pour lui, de longs doigts et de larges épaules... A 80 ans, Michael Lonsdale fait partie de ces hommes qui, d'un regard vous intimident. Plus que le poids de l'âge, c'est la puissance de sa sagesse que l'on peut lire dans les yeux clairs et expressifs de l'éminent acteur. Pour autant, jamais il n'effraie car une profonde gentillesse se lit sur son visage. Qu'on se le dise, se faire proposer un thé avec petits gâteaux par Lonsdale, ça claque.
D'Orson Welles à Xavier Beauvois
60 ans de carrière à côtoyer la crème des réalisateurs, valser au gré des vents entre les genres, voilà un illustre personnage audacieux et spontané qui en connaît un rayon sur les cinémas. Durant sa longue carrière, le comédien se voit dirigé par François Truffaut, Jean Eustache, Jean-Pierre Mocky, Orson Welles, Steven Spielberg et Luis Bunuel, pour ne citer que ceux là. Et lorsqu'on l'interroge sur le cinéaste qui a le plus marqué sa vie, l'homme nous répond à l'emporte pièce : « Si je devais aller sur une île avec un seul réalisateur, ce serait Marguerite Duras, pour moi une amie, une soeur, bien plus qu'une simple réalisatrice. Parce qu'à travers son univers, c'est avec elle que j'ai fait la chose qui a le plus impressionné mon cinéma : India Song. Je me suis investi d'une façon dont je ne me pensais pas capable dans le rôle de l'ambassadeur. »
Jouer fait partie intégrante de sa vie. La preuve, il garantit ne jamais travailler ses rôles, ni les répéter et se laisser guider par ses instincts : « Certains comédiens doivent travailler leur texte, porter les habits de leur personnage, construire énormément autour de leur rôle, réfléchir aux implications. Mon interprétation n'implique pas une construction. Je ne sais jamais comment je vais jouer avant que ma scène soit tournée. [...] Sur le tournage d'India Song, je n'arrivais pas à jouer au début. Or c'est de là qu'est venue mon inspiration. J'étais tellement malheureux que de rire, pleurer, hurler devint très facile, presque une délivrance. »
Pour lui, de la nouvelle vague aux superproductions hollywoodiennes, il n'y a qu'un pas, en témoigne la diversité de sa filmographie. Avoir évolué auprès de mythes ne l'empêche pas de s'attacher à des projets plus légers, comme le prouve sa récente participation au doublage de Titeuf le film (3D) (!), dans lequel il prête sa voix, le temps d'une poignée de scènes, à un psychologue. Sa motivation ? le plaisir de la découverte éprouvé grâce à « un métier qui permet d'inventer des choses, une chance ». S'implanter ad vitam aeternam dans un genre ou une époque ne l'intéresse pas, d'où les ondoiements perpétuels de son imposante carrière : « J'essaie juste d'être porté par mes envies, le choix des acteurs, du réalisateur, sans prise de tête, selon ma fantaisie. » Michael Lonsdale fantasque ? Venant de lui, plus rien n'étonne, une fois qu'on lui fait face.
L'envie et le plaisir sont ses moteurs, et, de fait, les choses qui l'on poussé il y a 11 ans, à refuser Amen, « un film anti-papiste de mauvaise qualité ». « Le scénario est idiot. Entendons nous bien, Costa Gavras est un grand cinéaste mais le propos était un amas de mensonges? Cela avait été joué à Paris au théâtre, les spectateurs sont montés sur scène, ordonnant aux comédiens d'arrêter sans quoi ils leur casseraient la gueule ! ».
Son avis tranché sur la question découlerait-il de sa seconde passion, plus discrète, la foi ? Il réfute l'implication de cette dernière dans ses choix de rôle. Avoir joué une quinzaine d'ecclésiastiques (dans Le Nom de la rose, Le Procès, Le Souffle au coeur et Des hommes et des dieux entre autres) émane plus d'un sentiment d'identification que d'une cause à défendre. L'artiste concède être simplement influencé par la vie dans son intégralité et non par un pan de vie. Preuve en est faite avec son incarnation dans Les Hommes libres de Si Kaddour Ben Ghabrit, fondateur et directeur de la Mosquée de Paris, impliqué dans la protection des juifs pendant la seconde Guerre Mondiale. Un mec entier ce Lonsdale.
Un grand monsieur du cinéma qui vit avec son temps...
Aussi étonnant que cela puisse paraître et en dépit de la reconnaissance de ses pairs acquise depuis longtemps, Michael Lonsdale doit attendre 2011, soit 140 films, pour se voir enfin remettre le césar du meilleur acteur. La case César, il a failli y passer en 1996 et 2008 pour ses rôles dans Nelly et Monsieur Arnaud et La Question humaine, mais s'y arrête enfin cette année pour sa tâche dans Des hommes et des dieux, drame historique de Xavier Beauvois encensé de toute part.
« Finalement je l'ai reçu » murmure t-il avec le sourire, avant d'ajouter : « ce n'était pas le but de ma vie d'avoir un prix de toute façon ». Car l'essence même de cette existence de saltimbanque se trouverait dans l'acte de "faire de belles choses qui parlent au gens, et non du divertissement bête et méchant. » A l'image de Polisse, son dernier coup de coeur cinématographique : « Il y a une telle vitalité transmise par ces policiers chargés de cas ultra-difficiles? On ressent un déploiement de force et de rapidité dans cette vie où se mêlent aspects privé et professionnel? C'est fou ce qui se passe là dedans. »
Vous l'aurez compris Michael Lonsdale avance à grand pas vers l'avenir, sans pour autant enterrer d'où il vient. Quand il est question de la scène la plus impressionnante du 7ème art, le comédien parle avec véhémence d'une séquence de résurrection dans Ordet, la parole (1955) du Danois Carl Theodor Dreyer :
« L'action se déroule dans une ferme. Une petite fille innocente et son frère, un simple d'esprit passant son temps à réciter des psaumes, perdent leur mère brutalement. Le fils fait une courte prière devant le cercueil, le suspens est à son comble, on s'imagine que cela ne va pas marcher? et puis, après un timing extraordinaire, on voit un frémissement des paupières et la voilà revenant à elle. » (un petit coup d'oeil à l'extrait est de mise)
...et imagine l'avenir sans trembler.
Son meilleur atout dans ce métier, selon lui ? Évoluer avec le temps avec modestie et sans crainte : « Beaucoup de comédiens de mon âge se plaignent, tambourinent que le cinéma n'est plus comme avant. Car avant, les scénarios étaient très précis. Maintenant, le tournage change complètement la donne. Les jeunes générations nous demandent de modifier le texte au feeling. Si cela ne me gène pas, cela agace bon nombre d'artistes plus classiques qui n'aiment pas être dérangés, ont appris leur texte tout de go. Ils ont du mal à passer vers une manière d'exercer plus moderne. »
Loin de l'effrayer, la jeune génération l'éblouit : « J'ai déjà fait des rencontres formidables. Mathieu Amalric par exemple, c'est le meilleur. J'étais content d'être avec lui dans La Question humaine et Munich. Valérie Dréville aussi? Maïwenn est une jeune femme qui a beaucoup de talents. Elle réussit l'exploit de mêler le rire et le drame, c'est formidable. La nouvelle génération recèle indéniablement quelques perles. » Oui, le cinéma français jouit des efforts d'une jeunesse résolument acharnée et volontaire à l'image de l'excellent Tahar Rahim, incarnation dans Les Hommes libres d'une résistance discrète mais téméraire issue des minorités maghrébines durant l'Occupation. Le drame historique d'Ismael Ferroukhi fait office de carrefour pour deux carrières résolument tenaces, absolument distinctes. La longévité extraordinaire de celle de Lonsdale semble répondre à la fulgurance de celle de Rahim, explosive depuis Un prophète. Pour autant, on ne peut s'empêcher, après visionnage du film qui réunit les deux acteurs, d'exprimer un seul regret, celui de n'avoir plus d'opportunités d'observer les échanges entre les deux hommes, tant ces derniers semblent se voir à travers l'autre.
En somme, la jeune scène française prend légitimement beaucoup de place. L'éviction des anciennes générations au profit des nouvelles se veut simple conséquence de ce maudit temps qui passe. Maudit ? Michael Lonsdale semble accueillir le crépuscule avec philosophie. Malgré cela, s'il est toujours étonné qu'on fasse appel à ses talents, l'acteur craint l'oublie et la retraite. « Cela arrivera bien un jour, mais pas pour l'instant. J'ai la chance de faire ce métier depuis 60 ans, espérons que cela continue. » Monsieur Lonsdale est définitivement un passionné.