L'Emmy 2014 de la meilleure série comique reviendra-t-il à un drame ?
La vie quotidienne dans une prison pour femmes, les meurtres, les jeux mafieux, la contrebande : produite par Netflix, Orange is the New Black compte douze nominations aux Emmys et tient la corde pour remporter la timballe dans la catégorie des séries... comiques. Citée aux côtés de pointures du rire US comme The Big Bang Theory ou Modern Family, la série avait précédemment concouru du côté des drames aux derniers Golden Globes et Screen Actors Guild Awards. Ce changement de cap lui permet de maximiser ses chances de devenir la grande gagnante d'une cérémonie. Elle nous offre surtout l'opportunité de revenir sur l'évolution récente de l’humour à la télévision américaine.
Outre les séries déjà citées, Orange is the New Black est opposée dans la catégorie de la meilleure série comique à Veep, Silicon Valley et Louie. Un premier constat s’opère : s'ils régnaient auparavant en maître dans ce domaine, les networks battent désormais de l’aile face aux séries du câble qui, après avoir phagocyté les nominations dramatiques (seule Downton Abbey est diffusée sur une chaîne publique, PBS), prennent d’assaut le rire. Pourquoi ? Parce que les chaînes câblées laissent une plus grande marge créative et permettent une prise de risque plus importante que les networks trop prompts à annuler un programme dès qu'il a le malheur de battre de l'aile pendant quelques semaines. Sans diaboliser ni idéaliser l'un ou l'autre parti, il est évident que l’innovation, dans le fond comme dans la forme, vient davantage des chaînes payantes. Ce sont elles qui misent sur les projets les plus risqués, en suivant une logique auteuriste pas toujours compatible avec la production audiovisuelle. Et ça paye.
Parmi les six nommés à l’Emmy de la meilleure série comique, deux brouillent les frontières entre comédie et drame : Louie et Orange is the New Black. Concernant la première, la notion d'auteur prend une ampleur considérable : Louis C.K. écrit, réalise et monte chacun des épisodes de sa série, dont il interprète le rôle principal, une version fictionnelle de sa personne. Louie prend progressivement ses distances avec ses premiers élans comiques. Arrivé au second tiers de la saison 4, elle abandonne sa structure en saynètes misant sur l’humour absurde (alternant avec des extraits de stand-up), au profit d’une narration continue autour de la romance impossible entre le protagoniste et sa voisine hongroise. La drôlerie passe au second plan pour favoriser la poursuite ininterrompue d’une histoire de plusieurs heures - comme si le format sériel et le “rire” importaient peu - pour aboutir à une vision très "Woody Allen-esque" de l’humour de Louis C.K.
Peut-on rire de la prison ?
Le cas d'Orange is the New Black est encore plus complexe. D’abord catégorisée comme drame, la série est aujourd'hui présentée comme une comédie (c'est également le cas de Shameless qui change également d’étiquette cette année, pour sa saison... 4 !). Ce revirement de situation pourrait s’expliquer par le fait que c’est désormais la saison 2 qui est éligible, puisque diffusée sur Netflix depuis juin dernier. Sauf que les nominations concernent en fait la première saison, auparavant qualifiée de drame. Ce jeu de chaises musicales entre les catégories est représentatif du statut de la série : drame aux accents comiques, il est impossible de la mettre dans une case, car elle passe continuellement d’un genre à l’autre. S'il y a bien des épisodes à forte teneur comique (The Chickening, course folle pour attraper un poulet miraculeux), la série rappelle toujours la situation tragique dans laquelle se trouve ses personnages. Dans la première saison, le personnage de Piper Chapman (Taylor Schilling) passe par exemple du statut d’agneau à celui de loup. Montrée comme une innocente n’ayant pas sa place au milieu des criminelles, nous découvrons finalement sa vraie nature, que sa place en prison n’est peut-être pas si injustifiée. Il faut dire que la saison se termine par son attaque brutale sur une co-détenue, un tabassage sanglant exécuté dans un accès de folie.
Avant tout un choix stratégique
Et si l’Emmy de la meilleure série comique revenait à un drame, donc ? Dans la mesure où Orange is the New Black fait office d’ultra favori et qu’elle est à considérer à mi-chemin entre drame et comédie, cette hypothèse est à moitié vérifiée. Pour ce qui est de sa catégorisation, il faut y voir la stratégie de Netflix. Avec cette série d’un côté et House of Cards de l’autre, le diffuseur et désormais créateur de contenu confirme son importance sur la scène audiovisuelle en évitant toute concurrence directe entre ses deux principales productions.
Le lobby Netflix, arrivé en force l’an dernier avec la première saison de la série mettant en vedette Kevin Spacey ainsi que la quatrième saison d’Arrested Development, place OITNB dans les comédies afin d'éviter l’embouteillage annuel qui sévit du côté des drames. Rien que cette année, des séries comme The Good Wife, Scandal, The Newsroom, The Americans, Masters of Sex, Boardwalk Empire, The Walking Dead ou même Homeland se sont retrouvées en partie boudées. Passer d’une catégorie à une autre pour éviter la compétition est chose commune aux Emmys, comme le prouve actuellement l'anthologie American Horror Story qui campe chaque année du côté des mini-séries. Dans l’autre sens, HBO a décidé cette année de proposer True Detective non pas comme une anthologie - ce qu'elle promet pourtant d'être, d'après son créateur - mais comme une série dramatique. Une proposition certes surprenante, mais qui promet un face à face avec Breaking Bad... anthologique.
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Nienor22 août 2014 Voir la discussion...
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ProfilSupprime27 avril 2015 Voir la discussion...
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Fujee22 août 2014 Voir la discussion...
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Nienor22 août 2014 Voir la discussion...
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ChrisBeney26 août 2014 Voir la discussion...