Ces réalisateurs qui ne font pas de cadeaux, même à Noël
Souvenez-vous de la polémique née en 2013 autour de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, notamment à travers un article paru dans Le Monde qui dévoilait les coulisses du tournage et l'attitude du réalisateur envers ses collaborateurs (acteurs, actrices et équipe technique). La polémique avait créé un malaise dans le cinéma français, qui s'était soudain mis à se demander si l'on pouvait tout pardonner au talent et si, au nom de l’Art, un cinéaste avait tous les droits. Kechiche était pourtant loin d’être le premier à avoir adopté une attitude pas très sympathique pour parvenir à mettre en images ses ambitions. Voici un petit florilège de ces réalisateurs de génie qui ont pu parfois dépasser les limites de la bienséance.
Alfred "son nom lui va si bien" Hitchcock
On évitera de traduire littéralement son patronyme, magnifique jeu de mots en lui-même. On notera quand même qu’il est plutôt représentatif du bonhomme. Le père Alfred Hitchcock était un sacré pervers. Il est de notoriété qu’il avait un problème avec les femmes et les anecdotes à ce sujet ne manquent pas. Tippi Hedren s'en est bien rendu compte sur le tournage des Oiseaux. Arrivée en remplacement de Grace Kelly, Hedren (mannequin, elle débutait dans le métier) dut faire face aux avances de son réalisateur (particulièrement fan de jolies blondes) qui la considérait comme sa chose, et dut subir son harcèlement physique et moral. Alfred en pinçait pour la jolie Tippi, mais ce n’était pas réciproque. Elle refusa donc ses avances et Hitchcock, de nature rancunière, décida de se venger de la plus perverse des manières : alors qu’il était question d’utiliser des oiseaux mécaniques pour les scènes d’attaque, il fut finalement décidé d’avoir recours à de vrais oiseaux. Et Hitchcock d’ordonner à ses assistants de jeter de véritables oiseaux sur sa comédienne principale. Des oiseaux tout aussi apeurés, qui lui labourèrent quelque peu le corps et le visage à coups de griffes et de becs, et ce pendant 5 jours. Sans surprise, Hedren termina à l’hôpital et fut même remplacée par une doublure le temps de quelques scènes. Ses cris de terreur, que l’on peut entendre durant les impressionnantes séquences d’attaque, n'ont donc rien de feint. Il existe d’ailleurs un téléfilm produit par HBO qui relate le tournage du film, ainsi que la relation trouble entre le cinéaste et son actrice, avec Toby Jones en Hitchcock et Sienna Miller en Tippi Hedren.
Stanley "Lubrick" Kubrick
Stanley Kubrick avait la réputation d’être un réalisateur extrêmement méticuleux, pointilleux, un véritable obsédé du détail. Ce que l’on sait un peu moins, c’est qu’il pouvait aussi être un beau salaud lorsqu’il tombait sur une victime mentalement plus « faible » que lui. L'une de ces victimes fut Shelley Duvall qui, pendant le tournage de Shining, a dû serrer les dents et verser des torrents de larmes. On connaît tous l’histoire de ce classique du film d’horreur, dans lequel Jack Nicholson devient dingue et traumatise sa femme et son fils. Et pour mettre sa comédienne dans les bonnes conditions, Kubrick décide d’adopter une attitude particulière envers elle : durant des semaines, ce ne seront que cris, hurlements, harcèlements et répétitions ad nauseam de scènes a priori anodines que va subir la pauvre Duvall.
Par exemple, cette scène où elle menace son mari devenu fou en faisant tournoyer sa batte de base-ball. Rien de bien méchant normalement, en quelques prises, hop, c’est dans la boite, et on enchaine. Sauf que non, celle-ci a en fait nécessité 127 prises. Vous avez bien lu : 127. La comédienne en aurait perdu des cheveux, à cause du stress et de l'atmosphère hostile sur le plateau entièrement créée par Kubrick afin de la pousser à bout. Pour lui, quoi de mieux pour interpréter une traumatisée que de traumatiser son actrice ? Une nouvelle fois, si l’on ressent aussi bien la perte de repères, le désarroi et la peur ultime ressentis par le personnage de Wendy, c’est sans doute grâce à cette direction d’actrice. Si vous voulez en voir plus, Viviane Kubrick (fille de) avait eu l’autorisation de filmer le tournage. En résulte un excellent documentaire, dans lequel on peut notamment voir à quel point Shelley Duvall a souffert.
Francis "Mad Dog" Coppola
En 1976, encore auréolé du carton du Parrain 2, Francis Ford Coppola décide de s’atteler à son gigantesque projet sur la guerre du Vietnam : Apocalypse Now. Le film et son tournage sont entrés dans la légende : inutile de revenir en détail sur les multiples déboires subis par Coppola et son équipe pendant les trois ans d’enfer de cette aventure. Signalons tout de même que l’état de folie permanent dans lequel Coppola était plongé lui fit faire des choses qui relèvent de l’irresponsabilité flagrante : pour la séquence d’introduction montrant Martin Sheen péter les plombs dans sa chambre d’hôtel, il poussa son comédien à boire de plus en plus et le harcela de questions extrêmement intimes pour le faire craquer. Et ça marche : Sheen pète littéralement les plombs, devient agressif voire dangereux avec les membres de l’équipe, et en vient même à s’automutiler en donnant un coup de poing dans une glace. Et tout ça, devant des caméras que Coppola décide de laisser tourner. Plus tard, usé par les conditions de travail ubuesques, Sheen fera une crise cardiaque. Effrayé par les répercussions que cela pourrait avoir sur la production de son film, Coppola décide de cacher cet incident aux assureurs et distributeurs : Martin Sheen est hospitalisé ? Ne vous inquiétez surtout pas, il s’agit juste d’une petite insolation ! Quant au pauvre buffle d’eau qui se fait décapiter lors d’une étrange séquence de rituel sacrificiel (filmée sous plusieurs angles de caméra), personne ne pourra le sauver, pas même les associations de protection des animaux. De quoi devenir dingue, et c’est exactement ce qui arrivé à Coppola qui, rongé par la paranoïa, menaça à de multiples reprises de se suicider et perdit près de 40 kg.
Ah oui, et il est apparemment fort possible que les cadavres que l’on voit jonchant le sol de l’antre de Kurtz au détour d’une séquence, soient en partie constitués de véritables cadavres anonymes. Aaaahhh la joie des tournages pendant les folles années 70… Mais Apocalypse Now (avec Fitzcarraldo de Werner Herzog) reste un cas presque unique dans l’histoire du cinéma, où les conditions de tournage et l’état mental du réalisateur semblent imprégner la moindre seconde du film, qui baigne littéralement dans la folie. Si tout s’était déroulé comme prévu, sans aucun heurt, avec un gentil exécutant bien discipliné aux commandes, nous n’aurions sans doute jamais eu un tel chef d’œuvre. Et là encore, il existe un superbe document relatant le tournage et dans lequel Coppola apparaît à certains moments comme dans un état second (la drogue, c’est mal) : Aux cœurs des ténèbres, passionnant making of de 1h30 disponible en bonus de l’édition Blu-ray du film.
Maurice "Papy Bougon" Pialat
De Maurice Pialat, le grand public connaît surtout l'image d'un homme en colère, le poing levé et rageur sur la scène du Festival de Cannes en 1987, lorsqu'il remporta la Palme d'Or pour Sous le soleil de Satan. Sous les huées et les sifflets d'un public majoritairement hostile, il eut cette fameuse réplique : "si vous ne m’aimez, sachez que je ne vous aime pas non plus". Pialat était avant tout un immense cinéaste. Et le bougre n’était pas non plus très tendre sur les plateaux. L’exemple le plus frappant reste le tournage de Police, émaillé de multiples échauffourées (c’est d’ailleurs un film que Pialat fut à deux doigts de renier, s’il n’y avait eu les interventions de son producteur). Richard Anconina et Sophie Marceau subissent de plein fouet sa légendaire colère. Anconina se fait tout d'abord traiter d’acteur nul par Pialat, si ce n'est même de plus mauvais acteur jamais vu, avant d'aller chercher la bagarre avec le réalisateur, excédé de le voir faire semblant de dormir derrière sa caméra pendant le tournage d'une scène cruciale. Anconina finit par quitter le tournage, après quoi Pialat se fend d'une lettre d'excuse qui sera lue à toute l'équipe sur le plateau. Quant à Sophie Marceau, elle vit un enfer, Pialat ayant décidé de la déstabiliser en permanence pour mieux la mettre en condition : ses larmes pendant la séquence de l’interrogatoire ne seraient pas feintes, mais provoquées par Pialat qui l’aurait poussée à bout. Elle ne le supportera tellement pas, qu’elle refusera de participer à la promotion du film. Les vraies baffes que lui filaient Gérard Depardieu lors de certaines scènes devaient aussi y être pour quelque chose.
William "Wild Bill" Friedkin
En 1973, William Friedkin sort tout juste du succès de French Connection et se lance dans l’adaptation du roman de William Peter Blatty : L'Exorciste. On ne reviendra pas sur le film, un pur chef-d’œuvre encore considéré comme l’une des oeuvres les plus flippantes de tous les temps. Ce sur quoi on reviendra, en revanche, c’est l’attitude de Friedkin durant le tournage. Beaucoup de légendes (plus ou moins validées) entourent ce film et sa fabrication, mais certaines sont aujourd’hui passées à la postérité. Par exemple, celle concernant ce moment où le Père Karras (Jason Miller) écoute l’enregistrement du démon Pazuzu. Hormis la voix enregistrée, le silence est total. C’est alors que le téléphone sonne, faisant bondir le comédien, terrifié. Comment obtenir un tel effet ? C’est très simple : Jason Miller a depuis expliqué que Friedkin avait un pistolet sur le plateau et avait tiré en l'air pendant la prise (à blanc, du moins espérons-le), pour obtenir de lui un authentique effet de terreur et de surprise sur son visage. Autre scène, autre technique : plus tard dans le film, lorsque le Père O’Malley vient donner les derniers sacrements à un Karras agonisant, Friedkin ne parvenait pas à obtenir de l'acteur le bouleversement que son personnage était censé éprouver. Il lui demande alors s'il lui fait confiance, ce à quoi l’acteur répond par l'affirmative. Et c’est là que Friedkin lui colle une gifle comme il n'en a jamais reçu de sa vie. Miller reste tétanisé, incrédule. Friedkin hurle : "Moteur, ça tourne !". L'acteur a les mains qui tremblent nerveusement pendant la prise. Friedkin, content de lui et de sa fourberie, a obtenu l'effet qu'il escomptait.
Jason Miller n’est pas le seul à avoir été confronté aux méthodes particulières du réalisateur. Lors d’une des scènes de pétage de plombs de Regan, Ellen Burstyn (qui joue la mère de la jeune fille possédée), attachée par un harnais, est projetée violemment contre un mur, alors que Friedkin lui avait pourtant promis de ne pas y aller trop fort. Résultat : une blessure au coccyx, et un cri de douleur à l’écran qui n’avait en fait rien de feint. Des comportements très limites mais, encore une fois, on peut se demander si le malaise et la folie pure qui suintent du film auraient été aussi palpables sans le sadisme de Friedkin.
"Bloody" Sam Peckinpah
Sam Peckinpah, ce vieux cowboy qui faisait des films de cowboys. L’homme derrière ces bijoux crépusculaires que sont La Horde Sauvage, Un nommé Cable Hogue, Les Chiens de Paille ou bien encore Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia. Du cinéma d’homme, violent et nihiliste, et totalement à l’image de son auteur. Car Peckinpah était un véritable chien fou, qui avait coutume de faire vivre l’enfer à ses équipes pendant les tournages. On raconte qu’il était capable de virer la moitié de ses collaborateurs sur un coup de tête, d’arrêter de tourner pour n’importe quelle raison, d’insulter la terre entière pour un détail insignifiant, de draguer lourdement (c’est un euphémisme) ses actrices, et d’effrayer quiconque avait l’outrecuidance de ne pas être d’accord avec lui. Oui, ça ressemble au comportement typique du mec qui a trop bu.
C’est que Bloody Sam était un adepte de la picole et de la piquouze. Le genre de types capables de s'engueuler et de se bagarrer avec ses amis, avant de les prendre dans ses bras et d'aller boire des coups dans le bar du coin (imaginez ce que pouvaient donner les scènes de beuverie entre Peckinpah, Warren Oates, John Huston et Jason Robards... aucun être humain normalement constitué ne pourrait en sortir vivant). C'est d’ailleurs ce qui l’a tué, lui qui disparait prématurément en 1984 à l’âge de 59 ans d’une crise cardiaque, avec pour seuls amis l’alcool et la solitude. On appelle ça plus communément du gâchis.
D'autres réalisateurs tout aussi tarés auraient pu être abordés dans cet article : Henri-Georges Clouzot, Otto Preminger, Werner Herzog, etc.
Alors si vous avez d’autres exemples de cinéastes qu’on préfèrerait ne pas avoir en Père Noël, n’hésitez pas à les partager plus bas dans les commentaires.
Mais bon, faut le comprendre Kubrick : elle avait quand même une tête hyper énervante, Shelly Duvall.